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Critique de AlbanPraq


La lecture des subtils essais d'Adrien Candiard, frère dominicain établi au Caire et spécialiste de l'Islam, est toujours un plaisir. Celle « d'En finir avec la tolérance ? », essai publié en 2013, ne déroge pas à la règle. Modestie cristalline du style, profondeur de vue, exposition lumineuse, vous ouvrez le livre et 90 pages plus tard, vous éprouvez de manière très concrète le fait que la connaissance rend heureux.

Dans l'essai en question, Candiard revient sur le mythe de l'Espagne médiévale (le fameux rêve andalou) pour le déconstruire de façon équilibrée et bienveillante. Ce mythe andalou est le point de départ d'une réflexion salutaire sur la place de la religion dans nos sociétés modernes. Tissant en peu de pages les liens intellectuels qui relient Averroès, John Locke, ou encore Emmanuel Kant, Candiard montre comment – à des fins de pacification – le religieux a été, à partir des Lumières, cantonné au champ de la morale, de l'intime, de l'identité s'éloignant ainsi inexorablement des rives de la raison et du discours critique associé.

Ceci étant posé, un vibrant plaidoyer pour la dispute religieuse sous tendue par la raison se déploie. A l'heure où la religion ne semble plus que l'expression d'une identité qui érige le respect comme rempart (involontaire) à toutes formes de dialogue franc et fécond (« Si je peux accepter que l'on questionne ce que je pense, je ne peux supporter que l'on questionne ce que je suis… »), Candiard propose de dépasser le piège mortifère qui se referme sur nos sociétés en plaidant pour un retour en grâce de la théologie, comprise comme la discipline qui développe un discours critique et rationnel sur Dieu et la Foi. S'inscrivant dans les pas de Saint Thomas d'Aquin, l'auteur s'évertue à faire « l'éloge de la dispute » qui permet l'émission dans le débat public « d'opinions religieuses » non réduites à de simples « témoignages de foi ».

Pour incarner son discours, Adrien Candiard s'appuie sur deux figures marquantes de l'Espagne médiévale – le musulman Ibn Hazm (XIe siècle) et le chrétien Raymond Lulle (XIIIe siècle). Erudits, fins connaisseurs des 3 religions abrahamiques et redoutables rhéteurs, Ibn Hazm et Lulle ont un sens aigu du débat, de la joute, de la dispute pour soumettre le Dieu des autres aux fourches caudines de la raison et par la même faire vivre pleinement la tolérance qui vous confronte au point de vue d'autrui et vous permet d'y répondre, même s'il vous ébranle, avec les armes de la raison.

Il s'agit pour l'auteur de montrer à quel point il est urgent de « réinvestir, par l'intelligence et la raison, l'ensemble de notre monde » pour débattre, échanger, argumenter, parfois avec âpreté, rugosité, et ainsi « démontrer que nous n'avons pas renoncé à construire une humanité respectueuse des différences religieuses, mais qui ne se résout pas à voir coexister des humanités incapables de communiquer sur l'essentiel », à savoir « nos aspirations à l'infini et à la vérité ».

Ce besoin impérieux concerne aussi bien les croyants que les non-croyants. Pour avancer sur le chemin escarpé mais libérateur proposé par Adrien Candiard, « nous n'avons qu'un instrument, imparfait mais indispensable : notre soif de comprendre ».
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