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Critique de LeCombatOculaire


Nous suivons Jacob, personnage presque anonyme et en totale désincarnation, dans ses pérégrinations mentales et dans la ville de Pragol (référence à une Prague imaginaire), où il nous invite à faire l'expérience de la possession par des voix inconnues, de la dépossession de soi, de l'irréel et du flou. Flotte une aura de mystère, de mystique, de kabbalistique, de tics nerveux, un brouillard d'oppression et une solitude insoutenable. Lorsque les vivants croisent les morts et que les morts emportent les vivants, lorsque, pour reprendre cette expression qui me colle à la peau, « rien n'est vrai, tout est permis. »

Entendre des voix, de tout temps, a exclu les personnes de la société, puisqu'elles sont vite vues comme "aliénées", pour reprendre les termes. Ça peut être une expérience d'isolement, d'impossibilité à s'entendre soi-même, de déréalisation, de dépersonnalisation. C'est un thème encore rarement abordé de façon saine ou compassionnelle : les gens qui entendent des voix sont forcément fous furieux, dangereux, ils ont forcément plusieurs personnalités, ils ne sont pas aptes à. Et ici, effectivement, Jacob n'est vraiment plus apte à. Mais aussi, c'est parce que, eh bien, c'est un fantôme. Pour reprendre son récit, la façon dont son écriture se fond comme une pensée sans fin, une pensée sans fond, une pensée à bout de souffle, une tentative de démêler, comprendre, vaincre, adapter, accepter, se relever, bref, son récit rend bien cette réalité cacophonique, d'une façon à la fois exténuée et poétique. Personnellement, j'ai été fort touchée, par les mots, bien que l'ensemble contribue encore à isoler et dramatiser les personnes malades mentales, au fond il s'agit surtout ici de mettre un pied dans le monde souterrain des morts et donc il n'est pas tellement question des vivants.

En plus des voix, donc, il y a aussi ces fantômes du passé, ces scènes rejouées des batailles épiques, les grands héros holographiques, qui apparaissent à Jacob régulièrement, et puis, ensuite, tous les êtres trépassés, réunis ensemble pour continuer une sorte de vie secondaire, où il est question de traîner toujours parmi les vivants, en attendant d'accéder à. À quoi ? Qu'est-ce que l'âme, qu'est-ce que la chair, qu'est-ce que le paradis et l'enfer ? Il y a aussi ce grand Rabbi, capable de manipuler les mots, les chiffres, les lettres, capables de grands sorts et figure de proue d'un mouvement de révolte. Qu'est-ce que la réalité ? Qui est Jacob ?

Manuel Candré nous mène en bateau, tout au long du récit, nous fait flotter entre réel et illusions, entre vie et mort, attendant un évènement, un avènement, des réponses, ou tout au mieux des questions, et tout reste volontairement flou, floué, flottant, fluctuant. En attente, comme les âmes déchues. Il y a sûrement beaucoup à analyser et décortiquer ici, ou bien l'on peut juste se laisser enivrer par les ambres d'alcool et se laisser envahir par les voix, se perdre dans les dédales de Prgl, la ville fantôme, la version purgatoire de Pragol. J'ai vraiment adoré son écriture, qui peut sembler brouillonne dans son enchaînement mais qui en réalité est aboutie comme une peinture, une litanie à la fois fade et grandiose, terrible et sans pitié, un fil de pensée ininterrompu. Un livre que je n'oublierai pas de si tôt, malgré son apparent manque d'intrigue, qui intrigue d'autant plus, qui ne délivre ses arcanes qu'au compte-goutte (encore l'eau, qui revient toujours) ainsi que dans les pages ultimes. Et pour finir avec une citation d'un livre qui, en filigrane, fait un peu écho à cette histoire-ci : « Sautez dans l'urinoir pour y chercher de l'or. Je suis vivant et vous êtes mort. Plongez dans la baignoire pour voir d'où vient le vent. Vous êtes tous morts et je suis vivant. » (Ubik, Philip K. Dick) Merci aux éditions Quidam !
Lien : https://lecombatoculaire.blo..
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