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Critique de Charybde2


Une superbe analyse historique de la manière dont la colonisation alla de pair avec une conception idéologique du langage, et une recherche audacieuse de pistes d'émancipation toujours à renforcer.


Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/07/22/note-de-lecture-provincialiser-la-langue-cecile-canut/

Découvert à l'occasion de la rencontre croisée avec Michael Roch et son « Tè Mawon », organisée à la librairie Charybde (Ground Control) il y a quelques semaines, « Provincialiser la langue » est le septième ouvrage de Cécile Canut, universitaire en sciences du langage spécialiste des caractéristiques sociolinguistiques de l'Afrique de l'Ouest mais aussi de la circulation des discours autour des Roms en Bulgarie et en France. Publié aux éditions Amsterdam en 2021, sous-titré « Langage et colonialisme », il nous offre une analyse pénétrante et monstrueusement documentée de la manière dont la langue et les langages ont été et sont un enjeu de pouvoir essentiel dans l'asservissement, feutré ou brutal, de populations, et partant dans les émancipations conduites ou toujours à conduire.

En examinant de près les conditions politiques et historiques de la dévalorisation des langues natives (Ch.1 : « Des langues bonnes pour chanter et faire la cuisine ? »), la pratique agressive de la scolarisation orientée (Ch. 2 : « Coloniser par l'école en français »), l'instrumentalisation du patrimoine linguistique colonial pour pérenniser une situation politique pourtant a priori caduque (Ch. 3 : « Je m'en fous la langue ! : la francophonie en Afrique ») et la pratique adroite des hiérarchisations poursuivant le travail colonial (Ch. 4 : « Standardisation linguistique : l'importation du modèle de la langue »), Cécile Canut démontre pas à pas les mécanismes de fond qui ont été mis en oeuvre, consciemment dans beaucoup de cas, plus indirectement voire par inadvertance dans quelques situations, pour assurer une sujétion sociolinguistique d'autant plus forte qu'elle savait souvent être insidieuse et pseudo-rationnelle.

Cécile Canut va toutefois significativement plus loin dans son analyse historique et politique, puisqu'elle montre les montages pernicieux ayant travaillé au corps le statut écrit / oral des langues colonisées (Ch. 5 : « L'invention de l'oralité, de la tradition et le déni de contemporanéité »), composante encore tout à fait contemporaine d'une « Afrique ambiguë » qui place régulièrement les autrices et auteurs du continent et de la diaspora face à de redoutables dilemmes. C'est bien de ces dilemmes en forme de ruses de la raison qu'il s'agit de sortir, et c'est bien le sens des deux derniers chapitres de l'ouvrage (Ch. 6 : « L'expérience du langagiaire », qui décortique avec inventivité le nouchi abidjanais, et Ch. 7 : « Théorie et pratique du langagiaire », qui en esquisse les voies de généralisation). Et c'est ici également que, en un dialogue à distance imaginaire avec Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau, incarnés le temps d'une soirée d'échanges littéraires et politiques en Michael Roch et en son « Tè Mawon », toute la pertinence du travail de créolisation et d'affirmation du « Tout-Monde » à partir de son ancrage initial antillais apparaît, prenant tout son sens et sa résonance vis-à-vis de ce précieux « Provincialiser la langue ».

Lien : https://charybde2.wordpress...
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