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Critique de Ingannmic


On dit que ce sont de drôles de gens, des gens froids. Qu'ils détiennent toutes les dettes de Londres. Qu'ils sont très riches. Qu'il ne faut jamais leur faire confiance.

Eux, ce sont les Ferrayor. En ce début du dernier quart du XIXème siècle, ils sont depuis plusieurs générations déjà les propriétaires du Grand Dépotoir, gigantesque territoire jonché de tonnes et de tonnes de déchets, de montagnes de rebuts, dont ils sont les intendants et les gouverneurs. Ils sont "les souverains de la pourriture et de la moisissure, les nababs de la putréfaction", empereurs d'un cloaque qui a fait leur fortune et leur a valu la haine séculaire de leurs lointains voisins, les habitants de Forlichingham (ou Filching), faubourg pauvre de Londres.

Leur royaume n'est indiqué sur aucune carte, no man's land hérissé de débris hétéroclites où trône le Château, demeure disproportionnée elle-même constituée de matériaux de récupération, de parties de bâtiments de Londres transportés puis reconstruits lors de rachats de terrains, pour former un amalgame de salles de bal, de cuisines, de chambres et de couloirs auxquels on accède par des myriades d'escaliers disparates, aux toits hérissés de multitudes de cheminées. Un univers nauséabond de poussière et de noirceur, la faible lumière d'un dehors grisâtre ne passant plus par les fenêtres aux vitres noircies…

C'est là que vit Clodius Ferrayor, surnommé Clod, l'un des petits-fils du patriarche Umbbit qui règne sur cette dynastie. Clod est orphelin, la mort de sa mère à sa naissance -suivie de peu du décès d'un père au coeur fragile- lui ayant valu la rancoeur éternelle de sa grand-mère maternelle. Les Ferrayor formant un clan, avec sa pléthore de tantes, oncles, cousins et cousines, pour lequel la pureté du sang compte plus que tout. Pour autant, aucune affection ne semble les unir, seuls importent le maintien du rang et de la lignée, dans le respect des règles rigides ordonnant les unions, et la place de chacun dans une hiérarchie rigoureusement définie. Ainsi, lorsqu'il aura atteint l'âge de seize ans, qui approche à grands pas, Clod sera autorisé à remplacer ses culottes courtes par un solennel pantalon de velours, et devra épouser sa cousine Pinalippy, grande brute à moustache dont l'un des plus grands plaisirs consiste à pincer les tétons des garçons. Ce qui, comme on peut s'en douter, ne l'enchante guère… Il faut dire que Clod est un peu différent des autres Ferrayor, à l'instar de son cousin Tummis, son meilleur ami, qui affectionne les animaux et est tombé amoureux (scandale !) de sa promise, la douce et gentille Ormilly. Après avoir fait résonner les couloirs du château de ses interminables pleurs de bébé, il est devenu un enfant maladif, peu aventureux, sensible, et une proie facile pour sa brute de cousin Moorcus, vigoureux garçon cruel et autoritaire semant la terreur parmi les jeunes Ferrayor les plus faibles qu'il persécute. Mais surtout Clod a un don : il entend la voix des objets. Précisons que les objets occupent une place très particulière chez les Ferrayor. A sa naissance, chacun s'en voit attribuer un dont il devient inséparable, avec lequel il entretient toute sa vie un rapport fusionnel et interdépendant. Pour Clod, cet objet est une bonde. Une bonde nommée James Henry Hayward. Car ce qu'entend Clod dans les murmures des choses, ce sont des patronymes inlassablement répétés, formant une cacophonie permanente et parfois insoutenable pour le garçon.

La disparition d'un de ces objets de naissance débute la série d'événements étranges qui vont bientôt bouleverser la vie du château : la poignée de porte de Tante Rosamund (Alice Higgs) est introuvable… Drame qui concorde avec l'arrivée au château de Lucy Pennant. Orpheline depuis que ses parents, atteints d'un mal étrange touchant les habitants de Filching, faubourg pauvre de Londres, se sont pétrifiés, elle se voit offrir un emploi de servante au château, privilège réservé à ceux dont le sang des Ferrayor coule dans les veines en faible proportion. L'armée de domestiques ainsi constituée forme une horde anonyme, chaque membre de ce petit personnel devant abandonner son identité et oublier son passé pour n'être plus qu'un "Ferrayor", sans prénom, sans famille. Gamine débrouillarde et rebelle, Lucy refuse de devenir une anonyme et s'efforce de ne pas oublier qui elle est. En nettoyant les foyers de cheminées, tâche à laquelle elle est dévolue, elle rencontre Clod. A l'encontre du règlement interdisant tout contact entre les maîtres du château et une domesticité reléguée dans les sous-sol, les deux adolescents font connaissance…

Quelle lecture passionnante et réjouissante, portée par une écriture énergique et par ailleurs très joliment illustrée des propres dessins de l'auteur ! Edward Carey nous immerge dans un monde inventif et profus, baigné d'une atmosphère à la fois ténébreuse et grouillante, qui n'est pas sans évoquer l'univers d'un Tim Burton ou celui de la famille Addams. le récit baigne par ailleurs dans une violence permanente, entretenue par le comportement tyrannique et brutal de la plupart de ces cruels Ferrayor mais aussi de leurs gens de maison. Il fait alterner les voix de Clod et de Lucy, l'introduction de cette dernière dans la demeure des seigneurs des ordures et sa rencontre avec Clod initiant une série de catastrophes qui va mettre en péril la routine séculaire et bien ordonnée du Château...

Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
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