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Critique de Nicolas9


Cet essai est une mine dans les deux sens du terme. D'une part il renferme des idées et des concepts explosifs et inflammables, d'autre part il est un puits d'information sans fond et une source de discussions intarissable. le lire c'est l'assurance de faire émerger des débats passionnants avec son entourage au cours des six prochains mois ! Voici un essai qui va vous secouer, vous agacer parfois, mais qui va surtout élargir les champs du possible.

Toutefois, ce qui m'étonne, c'est qu'on n'en recense que cinq critiques (toutes positives) sur Babelio. Franchement, ce livre mérite davantage d'intérêt et d'égards. Pourquoi me direz-vous ? Eh bien simplement parce que chacun peut y trouver des réponses originales aux questions qu'il se pose un jour ou l'autre : vivons-nous bien dans une démocratie ? Travailler dur est-ce la garantie d'une vie réussie et pleine de satisfactions ? La manière dont nous gérons notre temps permet-elle un vrai épanouissement ? Etc.

Incontestablement, le questionnement le plus éclairant de cet ouvrage est : existe-t-il une alternative positive et réaliste à notre monde actuel ? Et là, à mon grand soulagement, la réponse est OUI !

A ce stade, je vois venir l'objection de certains fatalistes qui se prennent pour des réalistes : « Ça y est, encore un essai naïf qui promet le paradis sur terre au gogo de service... »

Détrompez-vous, vous n'y êtes pas du tout ! En s'appuyant sur un important travail de recherche documentaire, Aymeric Caron commence par mettre le doigt sur toutes les « petites choses » qui devraient nous surprendre par leur iniquité, mais auxquelles on a tous appris à s'habituer faute de mieux. Ces bénignes avaries de nos démocraties parlementaires, lorsqu'on les place bout à bout, débouchent en réalité sur d'énormes problèmes sociaux, une perte d'espoir profonde par rapport au sens de la vie et un sabotage programmé de notre environnement naturel, humain et finalement économique.

L'essai débute par un état des lieux cinglant de la société dans laquelle nous vivons : « En France, la liberté est toute relative, l'égalité n'existe pas, et la fraternité deviendra bientôt un gros mot, tant elle est attaquée et discréditée par nos représentants politiques. On pourrait en dire autant de la justice, de l'empathie, de la compassion, de la générosité, de la non-violence (...)
Le tour de force des dictateurs aux petits pieds qui nous dirigent est d'avoir instauré un régime à leur service sans que nous, citoyens anonymes et tranquilles, nous nous soyons aperçus du coup d'État : nous avons doucement basculé vers un totalitarisme soft, bon teint, une tyrannie 2.0 où le costume-cravate remplace l'uniforme militaire. L'oligarchie au pouvoir a réussi avec brio son hold-up sur nos vies, en imposant son modèle politique et économique unique et en persuadant une grande partie d'entre nous qu'aucun autre n'est possible. »

Une fois ce décor peu reluisant (mais assez réaliste) campé, l'essayiste entame un dialogue à bâtons rompus avec un habitant actuel d'Utopia, une île isolée au milieu de l'Atlantique dont l'existence avait été « révélée » par Thomas More au XVIe siècle. Installés dans une confortable brasserie parisienne, les deux protagonistes vont échanger durant des heures sur des sujets aussi variés que l'argent et la propriété privée, le travail et le salariat, le temps libre, la justice, la démographie et l'écologie. A chaque fois, il s'agit de comparer la vie dans les pays dits « développés » avec celle sur Utopia.

Et, rapidement, on s'aperçoit que les différences sont importantes et rarement en notre faveur ! Alors, fort de ces pistes de réflexion, l'auteur nous présente une série de situations emblématiques du monde dans lequel nous vivons pour les questionner sans craindre de se mettre certains lecteurs à dos. En voici un exemple. « Le peuple des classes modestes et moyennes constate et subit l'évident échec des politiques néolibérales à l'oeuvre depuis trente ans. Il voit le droit du travail qui rétrécit, les libertés individuelles qui sont grignotées, les difficultés grandissantes pour se loger, la pollution qui empoisonne, les salaires qui sont bloqués et l'emploi qui ne revient pas. Et en parallèle, il observe, médusé, les cadeaux consentis à ceux qui sont déjà plus riches que les autres. »

Fort heureusement, Caron ne s'arrête pas à ce type de discours qu'on pourrait qualifier de démagogique. A travers la bouche de son interlocuteur utopiste, il propose aussi des solutions parfois très innovantes. Un exemple parmi les dizaines dont ce livre regorge : la gestion du temps libre qui serait dégagé par une diminution conséquente de l'horaire de travail.

« Nous nous occuperons de nous, de nos proches et des inconnus qui ont besoin d'aide. Nous essaierons d'être heureux en choisissant enfin les activités dont nous souhaitons remplir notre existence. En multipliant les occasions de sociabilité, nous briserons la solitude qui s'abat sur des millions de personnes isolées. Nous ferons du sport ce qui nous permettra de réduire les coûts de la santé. Nous lirons ces livres laissés fermés sur la table de nuit. Nous apprendrons. Sans cesse. Et surtout, nous nous informerons afin de faire de la politique en lieu et place des professionnels qui nous gouvernent depuis des décennies en toute incompétence.
Ne voyez-vous pas qu'un emploi à plein temps nous empêche d'être de véritables citoyens ? Épuisés à la tâche, nous préférons déléguer la prise de décision à d'autres personnes qui, elles, bizarrement, ne travaillent pas. Certes, elles nous dirigent, mais elles ne produisent rien... »

Le grand mérite de cet essai c'est ainsi de mettre en relief les dysfonctionnements de la société dans laquelle nous vivons, puis de proposer des solutions parfois radicales pour en venir à bout. On peut y adhérer ou pas, là n'est pas l'essentiel. Par contre, ce qui est sûr c'est que cet ouvrage est « bon pour la tête », car il stimule notre capacité de réflexion et favorise le débat en couple, en famille ou en société de thèmes qui nous touchent tous, quel que soit notre obédience politique ou notre niveau social.

Pour conclure, je vais citer encore une fois Aymeric Caron : « L'histoire nous enseigne que les rêveurs sont ceux qui ont permis à l'espèce humaine de tendre vers le meilleur d'elle-même, en gommant certaines de ses laideurs. Et, contrairement à l'idée reçue, celui que l'on désigne comme un utopiste appréhende très souvent la société avec plus de clairvoyance que ses contemporains. Il identifie avant les autres un dysfonctionnement profond et s'évertue ensuite à le faire comprendre à la majorité. L'utopiste s'autorise à voir le monde tel qu'il est vraiment, afin de pouvoir le changer (...) A quoi servent nos pas sur Terre, si nous passons pour nous taire ? Réveillez-vous, rêvez. »
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