C'est un curieux paradoxe que Le Hobbit et Le Seigneur des Anneaux soient l'œuvre d'un obscur professeur spécialisé dans le dialecte moyen anglais des West Midlands, et qui vécut une vie de banlieusard ordinaire entre ses enfants et son jardin ?
Il n’y avait pas deux Tolkien, un universitaire et un écrivain. Il n’y avait qu’un homme dont les deux aspects se recouvraient sans qu’on puisse les distinguer – non pas deux aspects, même, deux manières de s’exprimer d’un même esprit, d’une même imagination.
"Je ne m'intéresse pas à 'l'enfant' en tant que tel, moderne ou autre, et je n'ai sûrement pas l'intention de faire la moitié du chemin jusqu'à lui, ni même un quart. C'est une erreur de vouloir se mettre à sa 'hauteur', c'est inutile (quand ils sont stupides) ou pernicieux (quand ils sont doués)."
Paroles de Tolkien lui-même, citées p. 196
Le monde de la Terre du Milieu, conçu dans des temps lointains, était destiné à être le cadre d'un récit épique, un mythe pour l'Angleterre ; un mythe qui se tiendrait aux côtés de ceux du nord, des épopées des Germains et des Scandinaves.
Tolkien avait la passion de la perfection pour toute chose écrite, que ce soit de la philologie ou des contes. Cela venait de son lien sentimental avec son œuvre, qui ne le laissait rien faire d’autre manière que la plus sérieuse. Rien n'allait à l’imprimerie qu’il n’eût revu, corrigé et maintes fois poli - ce en quoi il était tout le contraire de C.S. Lewis, qui envoyait ses manuscrits à la publication sans presque les relire. Lewis, qui connaissait bien leur différence, écrivit ceci : « Il était fort critique envers lui-même et la simple idée de publier le poussait d’habitude à une révision au cours de laquelle il lui venait tant d’idées nouvelles que là où ses amis espéraient le texte définitif d’une œuvre ancienne ils obtenaient en fait le premier jet d’une œuvre nouvelle. »
Il avait montré le poème original à G. B. Smith qui lui avait dit aimer ces vers mais ne pas comprendre de quoi il s’agissait. Tolkien lui avait répondu : « Je ne sais pas. Je vais tâcher de trouver. » Pas d'inventer : tâcher de trouver. Il ne se considérait pas comme celui qui invente une histoire mais comme celui qui découvre une légende.
Le flot de paroles se tarit un instant ; il rallume encore sa pipe. Je saisis l'occasion, je dis ce qui m'amène, et qui maintenant me paraît sans importance. Pourtant, il s'y attache immédiatement avec enthousiasme et m'écoute avec attention. Puis, quand cette part de la conversation est terminée, je me lève pour partir ; mais, pour le moment, ce départ n'est ni attendu ni souhaité, puisqu'il a recommencé à parler. Il se plonge une fois de plus dans sa propre mythologie. Il a les yeux fixés au loin sur un objet quelconque et semble avoir oublié ma présence, agrippé à sa pipe comme s'il parlait dans son tuyau. Il me vient en tête que, pour l’apparence extérieure, c’est vraiment l’archétype du don d’Oxford, parfois même sa caricature. Or c’est justement ce qu’il n’est pas. C’est plutôt comme si quelque étrange esprit avait pris l’aspect d’un vieux professeur. Son corps est en train d’arpenter une pauvre chambre de banlieue, mais son esprit est très loin et parcourt les plaines et les montagnes de la Terre du Milieu.