Les lieux ont changé, mais bien sûr, la lumière est la même quand il fait beau, cette clarté aveuglante qui fait ressortir le blanc des murs des hautes fermes fortifiées, qui électrise le vert des champs de blé et le mauve des fleurs de lin.
A ce deuil se mêle la peine cuisante et banale que causent les années qui passent, les rides qui creusent les joues, cette déchéance lente et inéluctable que je devrai désormais porter seule.
Son appartement se veut accueillant et coquet. Il n'est ni l'un ni l'autre, à cause du manque de goût de ma mère, et aussi de son absence totale d'empathie.
A la maison, il n'y a jamais de bonbons, alors il faut que j'en profite. J'ouvre le sac. Il est rempli de crocodiles, de fraises Tagada, de bananes et de bouteilles de coca. Mes préférées, celles qui piquent.
Je n'ai pas du tout envie de m'attarder, et encore moins de m'approcher d'elle. Ma copine Nathalie, dont la mère a eu une grave maladie de peau, m'a raconté qu'un jour elle est entrée dans la salle de bains tandis que sa mère se lavait. Elle a vu ses bras recouverts de croûte et de pustules. Je me figure Maman Marthe debout devant le lavabo, en large culotte claire surmontée du tricot Damart qu'elle ne quitte jamais, la peau ravagée de bubons.
Au fond de moi, je savais qu’il allait me quitter, et j’imaginais déjà les possibles circonstances d’une séparation. Mais les scènes que j’envisageais ne contenaient que des disputes, des mots définitifs et des claquements de portes. Je n’avais pas prévu l’absence, le vide, le silence qui se prolonge et qui va sans doute devenir la trame de ma nouvelle vie.
Les mères ne peuvent pas protéger leurs enfants de tous les malheurs qui les guettent.
Ma mère a cette faiblesse : elle se plait à humilier ses proches.
Quant à savoir pourquoi ma mère sollicite nos visites, je me suis souvent posé la question, et la raison la plus vraisemblable est son attachement à un semblant de normalité familiale.
Les vrais tyrans sont ainsi : un jour terribles, le lendemain charmants.