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Critique de Malaura


Raymond Carver (1938-1988), c'est le peintre de l'ordinaire, le peintre de la vérité crue, de la réalité toute nue, celle des pavillons achetés à crédit, celle des vérandas et des petits jardinets, celle des cafétérias et des restoroutes. C'est le nouvelliste de la vie sans tambour ni trompette, sans éclat ni retentissement ; de la vie tout court, de la vie toute simple, qui s'égrène avec son lot de difficultés et d'obstacles, de tracas et de peines, de malaises et de mal-être.
Il est mort d'un cancer il y a près de 25 ans mais ses nouvelles n'ont pas pris une ride tant les personnages qu'elles mettent en scène nous semblent proches, piégés par les problèmes très actuels de la vie quotidienne : les relations de couple, l'alcoolisme, le surendettement, le chômage, les passages à vide, les remises en question….
Des personnages qui nous sont familiers car ils n'ont rien d'exceptionnels. Ils sont serveurs, facteurs, ouvriers, représentants, chômeurs, maris et femmes, maîtresses ou amants…Ce sont tous des êtres ordinaires, issus de la middle-class américaine, insignifiants, modestes, des gens comme tout un chacun, ni meilleurs, ni pires comme le commun des mortels.

Dans les histoires que raconte Raymond Carver, il y a toujours des vélos d'enfants posés négligemment contre un mur, de l'alcool et des cendriers pleins, des gens qui picolent et qui fument en se demandant quand ils ont bien pu louper le coche et faire de leur vie ce temps qui s'effiloche.
Des histoires qui sentent le vécu. Qui se font l'écho de millions d'individus engluées comme des mouches dans la mélasse de leur existence étriquée et que l'auteur observe avec l'attention d'un naturaliste et la proximité de celui qui a vécu les mêmes doutes, les mêmes tourments, les mêmes petites tragédies qui vous broient un type en moins de deux.

Pas d'aigreur pourtant chez ces américains moyens, nul ressentiment, pas même la force de changer les choses, pour eux, c'est déjà trop tard. Pourtant, à un moment donné, au détour de scènes apparemment anodines et banales, ils vont toucher du doigt l'insignifiance de leur vie. C'est de ce malaise-là que l'auteur rend compte et saisit avec l'oeil net, précis et lucide du photographe, cet instant où un individu fait le constat accablant, déprimant, d'avoir raté sa vie.
En cela, l'absence de chute des histoires mises en scène, la façon abrupte de clore sans clore qui peut dans un premier temps décontenancer, n'est en définitive qu'une conséquence de cette faillite intime.
Les 22 nouvelles qui composent le recueil de « Tais-toi, je t'en prie » ne débouchent ainsi sur aucune morale, ne sont porteuses d'aucun enseignement. Elles servent juste à montrer la vie dans sa réalité brute, sans fioriture ni falbala, au détour d'une partie de pêche dans des eaux polluées, d'une infidélité avouée ou de l'attente de créanciers.

Lire Raymond Carver c'est un peu comme sillonner l'Amérique dans un vieux Pick-up Ford et se faire le témoin de la vie au rabais de toute cette frange de la population en proie aux misères d'un quotidien fait de soucis financiers et de traites à payer, de lassitude et de désillusions, de rêves avortés et de déconvenues. C'est comme regarder vivre les gens à travers les carreaux, en spectateur muet et invisible de leur déconfiture. Des portraits saisissants de réalisme, happés au plus près du réel par une plume brillante, juste et concise, d'une efficacité redoutable.
Résignation et déception ; soumission et continuité…Chez Carver, la seule route à suivre, c'est celle qui mène au bout de la vie, quand bien même elle n'a pas été telle qu'on l'avait souhaitée.
Rien de bien grave au demeurant ; juste deux doigts d'American Dream noyé dans du spiritueux.
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