C'était un titre et un roman prometteurs, qui nous amènent aux confins de trois pays, l'Italie, la Suisse, l'Autriche. Encore, un retour en arrière, encore des périodes troubles du passé qui reviennent chatouiller la mémoire un peu trop courte du présent. Celle d'Edna, vieille femme de près de quatre-vingt-dix années, qui n'a plus d'autre compagnie que celle de son fidèle ami Emil le perroquet. Ce passé est incarné en la personne de Jacob Reiss, dont elle a perdu la trace depuis longtemps, mais dont l'image de lui, qu'elle découvre dans le magazine Stern vient raviver des souvenirs enfouis, une histoire d'amitié inachevée, sans point final. Il s'agit du premier roman traduit en français de l'auteure italienne Romina Grande, qui est elle-même l'heureuse maîtresse de deux perroquets. Visiblement elle s'est servi de ce lien privilégié avec son couple d'oiseaux pour inventer celui d'Edna, de Jacob avec Emil.
Une vieille femme qui approche l'âge canonique des cents années entreprend un périple jusqu'à Revensburg, en partie à pied, accompagnée de son perroquet et de sa cage, c'est loin d'être commun. C'est un récit peu conventionnel à la fois original et drôle, un peu naïf, un peu ingénu, sur un fond historique, plus grave. Celui qui nous ramène à ces enfants qu'on nomme un peu trop communément les enfants de la Souabe. La Souabe, Schwaben en allemand, Svevia en italien, est une région du sud-ouest de l'Allemagne. du XVIIe siècle au début du XXe, les enfants de la Souabe étaient conduits, par l'intermédiaire d'un homme d'Église, des régions voisines, Tyrol, Suisse, vers la Haute-Souabe pour travailler dans les fermes en tant que gardiens de bestiaux, filles à tout faire. Ils étaient vendus par des familles minées par la pauvreté. Les enfants étaient mis à pris lors des marchés aux bestiaux, dont celui de Ravensburg dont il est question ici. Romina Grande l'explique bien, le destin des enfants dépendait de leur chance ou leur malchance d'être choisis par des fermiers flexibles ou non qui accueillaient bien volontiers cette main d'oeuvre providentielle. Edna et Jacob n'étaient pas tombée du bon côté de la force. Les seules échappatoires d'Edna, elle les trouvait dans les moments qu'elle passait auprès de son ami Jacob, du perroquet qu'ils adoptèrent, Emil. La mémoire d'Edna révèle ce destin tragique qui a touché un nombre conséquent d'enfants, arrangeants douloureusement les parents d'un côté, qui avaient moins de bouche à nourrir, les fermiers de l'autres, dont certains se transformaient en véritables esclavagistes. Ces réminiscences représentent le côté obscur de l'histoire d'Edna, qui derrière cette image de mamy rigolote avec son oiseau, recèle des manques inassouvis, des blessures jamais guéries, une dame qui est restée pendant des décennies coincée à attendre, en compagnie d'Emil, seul témoin de ce passé. Ces enfants sacrifiés, l'auteure s'est sentie en devoir de s'en faire la porte-parole, c'est ce qu'elle déclare dans la presse italienne : avant d'avoir enseigné dans le val Vensosta, jamais elle n'aurait eu connaissance des évènements.
Il y a deux registres de tons, d'abord cette gravité qui entoure le récit du séjour à la ferme d'Edna, allégé par ce ton plus frivole, presque badin, celui qui accompagne Edna tout le long de son périple, qui constitue le retour à l'enfance. C'est un voyage qui va prendre un tour désopilant, qui prête à sourire de multiples fois. Les rencontres qu'elle y fait sont toutes plus cocasses les unes que les autres, sa rencontre avec un jeune couple versé dans l'ésotérisme, un motard pur jus, des jeunes hippies, d'autant qu'elle est accompagnée de son curieux volatile qui bien évidemment polarise une partie de l'attention. L'auteure italienne redonne à Edna la gaieté, la volonté, l'insouciance même d'une jeune femme de vingt ans, qui boit de l'alcool jusqu'à l'ivresse, qui fume de l'herbe jusqu'à l'euphorie, qui pousse l'inconscience jusqu'à se cacher dans la soute à bagage d'un bus. Edna, c'est ce personnage presque loufoque, qui prête à rire parce qu'elle déambule avec son perroquet dans une main, enveloppée dans son blouson en cuir orné d'une tête de mort, parce qu'elle devient au centre des réseaux sociaux alors qu'elle pense cheminer en toute discrétion vers le but qui est le sien.
La gravité d'une partie est suppléée par la légèreté de l'autre, Sauf qu'à aller trop dans le sens de la légèreté, on frôle parfois l'incohérence. J'ai peine à croire qu'une femme de 90 ans puisse faire tant de kilomètres, avec le poids conséquent d'un perroquet dans sa cage à la main, un sac dans l'autre, s'enfourner dans une soute, dormir à même le sol, gravir des sommets, descendre des dénivelés sévères. Les récits d'anciens enfants de la Souabe eux-mêmes affirment que les routes étaient particulièrement longues et ardues. En toute bonne santé qu'elle puisse être, et bien qu'il puisse avoir des exceptions, la grande majorité des nonagénaires sont physiquement marqués par les neuf décennies qu'ils ont vécues. Et puis même si en général l'histoire se veut joyeuse et optimiste, je reste bloquée sur le fait que cette dame est restée dans une chimère pendant plus de soixante ans, cet espoir fou de revoir Jacob, qu'elle n'a pas su se construire une vie vraiment heureuse. Je n'ai également pas accroché avec certains des personnages secondaires, Adèle son amie ainsi que son mari Max, je n'ai pas vraiment compris leur intérêt.
C'est un joli roman qui a été un best-seller en Italie que nous conte
Romina Casagrande, ponctué d'extravagances un peu trop grossières. Au-delà de cela, le parcours d'Edna de retour vers Ravensburg est plutôt agréable à suivre et contraste avec la vivacité de ses souvenirs qui la frappe de plein fouet, c'est un premier roman tout à fait honnête et méritant.
Lien :
https://tempsdelectureblog.w..