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Critique de SophieLesBasBleus


Merci aux Editions Serge Safran et à Masse Critique de Babelio pour cette lecture épatante !
Pour apprécier pleinement ce roman parfois un peu déroutant, il faut justement accepter de prendre des chemins atypiques en laissant de côté les repères narratifs habituels. Après tout, plus de 30 000 ans nous sépare de la Femme-Maÿtio ! Certes cet écart ne représente sans doute qu'un millionième de seconde au regard de l'histoire du monde, mais pour une lectrice-lambda d'aujourd'hui (moi en l'occurrence) ça ne se parcourt pas en deux coups d'accélérateur de particules ! La proximité, la familiarité ne sont pas données d'emblée et pénétrer dans le monde de Maÿtio nécessite donc que l'on fasse quelques pas vers elle. le fort beau roman de Béatrice Castaner nous permet ce rapprochement par un ensemble de moyens qui donnent cohérence, crédibilité et force à l'histoire qu'elle nous raconte.
Cette histoire c'est celle d'une très jeune Néandertalienne qui a vu le massacre de son clan par un autre. Seule survivante, elle ne doit son salut qu'à deux des trois divinités qui tissent la destinée des hommes. Agonisante, Maÿtio est emmenée dans une grotte "à mi-hauteur de la falaise" et "la vie reprend peu à peu ses droits. Une vie autre, coupée de la précédente, d'où plus rien ne peut croître." (p.34). Ses journées solitaires se passent à observer un troupeau de chevaux sauvages, en contrebas. Parmi eux, elle élit E'wa "une pouliche à la robe brune et blanche" (p.35). Comme si à travers l'animal la jeune femme vivait par procuration, Maÿtio se fond dans le corps d'E'wa pour mieux renaître dans son propre corps martyrisé. La disparition du troupeau pourrait être la cause d'un nouvel effondrement, fatal celui-ci. Mais l'imagination de Maÿtio prend le relais...
En utilisant la matière qui l'entoure, le calcaire des parois, le charbon de bois, elle qui ne sera jamais mère peut "donner corps" à la réalité comme à ses rêves. "Avec comme seules armes une torche et un morceau de bois calciné, Maÿtio déclare la guerre au proche anéantissement de son monde" (p. 50) en dessinant E'wa au plus profond des entrailles de la terre. Après "d'innombrables saisons", une autre tribu rejoint Maÿtio à chaque printemps et ainsi se poursuit la transmission des histoires et de l'expérience. La silhouette d'E'wa est maintenant accompagnée par des troupeaux d'animaux qui s'animent à la lueur des torches devant les tribus réunies, suscitant l'émerveillement, l'effroi, la joie.
Comme dans "Aÿmati", la transmission et l'art sont au coeur du roman de Béatrice Castaner. Racontée ainsi, cette naissance de la création artistique au tréfonds d'une caverne il y a 30 000 ans a quelque chose de profondément émouvant. L'histoire de Maÿtio n'est pas seulement celle, bouleversante, de la fin des Néandertaliens, mais elle rejoint aussi celle de toutes les résiliences, de toutes les résistances humaines et de la part irréductible que prennent toutes les formes d'art dans ce cheminement permanent. La narration nous fait passer de l'individuel à l'universel, de l'intime au social, avec une infinie subtilité. La langue alterne un rythme syncopé, au moyen d'une syntaxe minimale, avec des périodes descriptives, plus amples, plus poétiques. Les phrases semblent s'apurer pour ne garder que l'essentiel de ce que discernent les personnages. La musicalité de l'écriture ainsi que sa force évocatrice créent une sorte d'envoûtement, une proximité troublante avec ces personnages temporellement si lointains et humainement si familiers.
Voilà vraiment un très beau roman, à l'écriture et à la construction parfaitement maîtrisées et qui a su me transporter 30 000 ans A.P. auprès de Maÿtio, ma petite-soeur, mère, aïeule, fille, "arpenteuse des chemins de l'art".
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