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Critique de fabienne2909


À partir d'un fait de prime abord anecdotique – un professeur d'université, Godfrey St Peter, emménage dans la maison qu'il s'est fait construire avec l'argent de sa réussite –, bien qu'il donne son titre au roman (y compris en version originale), Willa Cather va déployer une intrigue bien plus profonde que cela, aux diverses ramifications, pour nous proposer un roman psychologique plutôt bien fait.

Cette fameuse maison donc, est pour le professeur St Peter la concrétisation d'un statut social enviable, les professeurs d'université ne s'en sortant financièrement pas tous si bien dans le roman (occasion d'ailleurs pour Willa Cather de critiquer le système universitaire de l'époque, qui devenait de plus en plus une entreprise commerciale plutôt qu'intellectuelle). En effet, Godfrey St Peter a épousé une femme un peu fortunée mais quelque peu snob, et ses filles Rosamond et Kathleen ont conclu, surtout la première, de beaux mariages.

Godfrey St Peter aurait donc tout pour être heureux, mais curieusement, cette maison marque le début d'une prise de conscience de sa part, celle d'être sur un chemin non pas ascendant, mais au contraire descendant : son mariage n'est plus ce qu'il était – après plusieurs décennies de passion, Lillian et lui semblent évoluer différemment et ne plus se comprendre –, son chef d'oeuvre est publié, sa famille ni même ses étudiants ne l'intéressent plus comme auparavant, en tout cas de moins en moins depuis la mort de son protégé Tom Outland il y a quelques années de cela…

Ce Tom Outland n'est pas qu'un simple souvenir pour le professeur, ni d'ailleurs pour la famille St Peter : ancien fiancé de Rosamond, il lui a légué le brevet qu'il avait mis au point avant sa mort, et que Louie Marsellus, qui a épousé Rosamond entretemps, a commercialisé, faisant leur fortune… et créant jalousies et rancoeur dans la famille St Peter. Scott McGregor, le mari de Kathleen, l'autre soeur, se place constamment dans une position de concurrence vis-à-vis de Louie, tandis que cette dernière regrette que la mémoire de Tom ait été ainsi pervertie par l'argent. Opinion que Godfrey St Peter partage, lui qui a bien connu Tom et qui sait que celui-ci était un garçon désintéressé, humble, passionné, en somme loin de l'image qui reste de lui, celle d'un scientifique au brevet valant des millions de dollars.

C'est pourquoi la dernière entreprise littéraire de Godfrey St Peter sera de publier une version annotée du journal de Tom Outland, qui ne porte pas du tout sur son brevet, mais sur la déception de sa jeune et courte vie, survenue avant de connaître les St Peter : la découverte d'une cité indienne autochtone au Nouveau-Mexique, qu'il tentera en vain de faire reconnaître par des organisations culturelles gouvernementales.

Ce journal constitue la partie centrale du roman, et crée de manière surprenante une véritable différence de ton, non pas parce que la plume est donnée subitement à un autre personnage que le professeur St Peter, mais parce que le roman passe d'un roman naturaliste à un roman de style nature writing : Tom Outland y décrit sa découverte, faite en tandem avec son ami Rodney Blake (leur relation étant décrite dans des termes assez ambigus), de cette cité indienne mystérieusement abandonnée telle quelle, en insistant sur le cadre naturel américain dans laquelle elle se trouve et ses beautés. Paysage, histoire et nature sont célébrées par Tom qui souhaitait les préserver, loin de toute préoccupation pécuniaire.

J'ai vraiment été surprise dans un premier temps de ce virage adopté par Willa Cather, et me suis demandé d'abord pourquoi il était là, quel était son sens, d'autant plus que la troisième et dernière partie revient sur un Godfrey St Peter las de tout, y compris de sa vie. En faisant quelques recherches pour ma chronique, j'ai appris que Willa Cather avait rédigé la partie sur le journal de Tom Outland en premier, et que les deux autres parties n'avaient qu'une fonction de cadrage. Mais à la réflexion, ce choc entre ces parties si dissemblables est assez malin, puisqu'il vient illustrer ce que Willa Cather nous explique dès le début avec le symbole qu'offre cette maison dont Godfrey St Peter ne veut finalement pas : les idéaux ne sont pas toujours faits pour se confronter à la réalité. Et on tombe souvent de haut quand on s'en rend compte, ce qui semble être le cas du professeur St Peter. Que valent la réussite, le rang social, quand on comprend que c'est du vent ?

À travers cette histoire de brevet, il y a aussi l'idée que trop d'argent pervertit même les choses les plus pures et belles : les relations de famille se distendent, comme le montrent les relations désormais difficiles entre Rosamond et Kathleen, des gens deviennent intéressés, à l'instar du professeur qui a aidé Tom Outland à accoucher de son brevet et qui, une fois qu'il rapportera de l'argent, voudra sa part d'un gâteau qu'il a longtemps dédaigné.

« La maison du professeur » est ma première rencontre avec Willa Cather, que je ne connaissais pas avant de m'inscrire au challenge solidaire et de lire il y a quelques mois « Un dernier été » d'Elin Hilderbrand (son personnage principal aimant tellement cette autrice qu'elle donna son prénom à l'une de ses filles). J'ai été séduite par cette plume certes classique, mais qui creuse de manière perspicace et pertinente ses personnages, pour proposer une intrigue beaucoup plus profonde que ce qu'elle avait l'air. Je poursuivrai donc ma lecture de cette autrice avec plaisir.
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