Un coup, une remarque, ça peut laisser un bleu, au corps, à l'âme. Mais une idée, parfois, ça s'insinue et ça reste.
Pas partir pour fuir, partir pour se fuir.
Fini de sculpter la fumée, fini de débroussailler le désert ou de tenter de pêcher quelques nuages, enfin on avance, enfin on est porté.
Les médiocres prennent des cours de management et absorbent, les grands ont du charisme et reflètent.
Cette mégalopole où les casiers de rangement avaient remplacé l'habitat, cette cité où le matériel humain était stocké le soir pour être prêt à servir le lendemain.
L'avenir ? Il avait beau regarder au loin, beau se projeter, rien, il ne voyait rien (...). Il aurait tant voulu avoir un foyer. Au contraire c'étaient les foyers qu'il avait connu. Des foyers (...) où le groupe existait, pas la personne.
Cette appréhension qui corrode, qui mine, qui n'a pas de visage, pas d'arme et pas de voix, cette appréhension qui ne court pas vers nous mais vers laquelle on se projette. Elle est maligne, sournoise, elle s'insinue partout, en soi bien sûr, mais aussi dans les rapports familiaux, dans les relations avec les collègues. On sort de chez soi le matin, elle est déjà là. On prend la voiture, regarde à gauche, à droite, feu rouge, elle nous accompagne. On fait des courses, on déjeune au resto du coin, toujours là.
Le Père-Noël, personne n'y croit, mais tout le monde sait quel jour il passe. Le malheur c'est l'inverse.
Il y a trente ans, arrivé en Europe pour travailler, il avait côtoyé une détresse, pas uniquement matérielle d'ailleurs, qu'aucun Européen vivant dans son pays ne pouvait imaginer. Il avait connu la barrière linguistique, la pyramide hargneuse et médiocre des chefs, des demi-chefs et des quarts de chef, de ces contremaîtres hurleurs à la bestialité endémique et à la fourberie suprême. Il avait senti le mépris ambiant, la menace du retour à la frontière, la différence des moeurs et de la religion, mais il s'était intégré, à coups de "monsieur", de "merci" et d'abnégation, comprenant que, si la différence serait toujours patente, elle le serait d'autant moins en évitant de la cultiver et en traversant dans les clous de la bienséance.
C'est l'avenir qu'il faut choisir, devant qu'il faut regarder, et éviter de prendre l'ascenseur de la nostalgie, celui qui s'arrête toujours moins haut que celui de l'espoir.