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Critique de AnneCath


Entre le 5 et le 6 octobre 1995, disparaissait le plus grand himalayiste français, Benoît Chamoux, en Himalaya sur les pentes du Kangchenjunga, son quatorzième sommet de plus de 8000 mètres et dont le nom en tibétain veut dire « Les Cinq Trésors de la Grande Neige ».

« La Grande Neige » nous dit une histoire où la très haute montagne une fois encore, par l'épreuve apportée, transforme et grandit.

Il s'agit d'une confidence. Celle de Fabienne, son épouse au moment du drame, qui décrit tout d'abord les recherches et les vains espoirs, lors de la disparition.

Le récit, structuré symboliquement en treize chapitres, retrace ensuite son parcours initiatique, son retournement depuis ce jour où sa vie de cadre d'entreprise internationale bascula. Un véritable parcours d'arêtes de treize ans entre le connu et l'inconnu, la présence et l'absence, le matériel et l'immatériel. La description du chemin est délicate et franche.

Elle monte pas à pas vers l'espérance et la paix.

Cet ouvrage est le récit d'une vie, un témoignage bouleversant, message d'espérance pour tous ceux qui doutent et qui trébuchent ou qui se demandent comment vivre après un drame. (4ème de couverture)



Un récit d'une rare authenticité, profond, sincère, qui va vite, très vite à l'essentiel. Plus qu'un parcours initiatique, il s'agit là de l'histoire d'une quête absolue. Cette quête susceptible d'occuper, de préoccuper chacun d'entre nous à un moment ou un autre de la vie : quête de vérité, d'équilibre, de silence, d'Amour, de plénitude...

En lisant ce texte, j'ai d'abord pensé à Passagère du silence : dix ans d'initiation en Chine de Fabienne Verdier, cette jeune et brillante étudiante des Beaux Arts qui décida de tout quitter du jour au lendemain pour aller chercher, seule, au fin fond de la Chine communiste, les secrets oubliés de la peinture et de la calligraphie chinoises, fondées sur "l'Unique trait de pinceau".

Longtemps après avoir fermé ce livre, je me suis également fait cette réflexion : il n'est certainement pas facile de mener un tel travail sur soi, pendant 13 longues années. Il faut beaucoup de courage, de l'opiniâtreté, et peut être, à un certain moment, croire en sa bonne étoile (?). C'est un parcours qui se fait seul. Il ne peut en être autrement, car il n'est rien de plus intime que la perte de l'être aimé.

Non, ceci n'est déjà pas facile. Mais, il est encore moins évident de décrire avec précision le chemin parcouru, les étapes qui le composent, l'état d'esprit dans lequel on se trouvait et d'exprimer les sentiments qui nous ont traversés tout au long du parcours. Cela implique une connaissance intime des choses de la vie, celles qui nous fortifient, nous atteignent, ou nous permettent simplement d'avancer.

Et cela n'est pas permis à tout le monde...



La préface écrite par Michel Desorbay est en harmonie parfaite avec le récit de Fabienne Clauss. La voici :

La Grande Neige... Horizons fondus. La pesanteur allégée doucement posée couvrant l'aspérité de courbes à aimer. Nudité. Pureté.

Silence. le silence blanc, étendu, pénétrant, jusqu'à venir de nous. La Grande Neige...

Ces mots nous placent dans le familier et simultanément au coeur d'un immense inconnu, ils donnent à pressentir une douceur, étrangement car ce qui nous est dit ici, dans ce livre, naît d'une puissante implosion. Tout ce qui fait une vie se brise et disparaît. Tout doit renaître.

Nous le savons, les innombrables potentialités de l'existence ont quelque difficulté à s'accomplir. Des forces du fond de nous, des forces d'évasion demandent à éclore, se soulèvent, et retombent, déjà réprimées. Il ne faut pas déranger.

Suivons notre chemin. Mais quel est ce chemin ? Est-ce le plus familier ou l'autre là-haut à peine perçu ? Que nous veut la vie ? Avait-elle un but en nous étant donnée ?

Ces interrogations longtemps patientent. Abondance et notoriété gagnées en suspendant les réponses. D'autant que le parcours est proche de son apogée. Et c'est de là, du plus haut, que le plus irrecevable nous jette au bas de ce monde. le message, continents traversés, hurle, renverse et déchire.

Disparaître est d'un autre ordre que mourir. Les deux néants s'ajoutent. Ne restent que l'effroi et le lancinant pourquoi.

Un temps est nécessaire... Il faut d'abord aller au fond, tout au fond, apprendre son impuissance, vivre son inutilité et, lapidé d'adversités, accepter de n'être rien. Rien. Un temps est nécessaire et des forces s'inversent.

Car la douleur, si on la laisse seule, a la capacité de conduire à des perceptions inattendues. Elle sait ouvrir des itinéraires jamais envisagés et mener là où nous ignorions qu'il était possible d'aller. le sang, tout le sang transparent écoulé des pleurs dans la lenteur des jours a nourri sans nous un germe intemporel.

Il suffit alors d'une échappée de soleil, de trois notes d'un piano, d'une lumière sous la voûte. Et, comblant le vide qui pesait, paraît ce que l'on ne savait pas. Un allègement. Un espace. Un silence. Une lueur d'aube. Il nous semble échapper à la densification des choses.

Le chemin n'est pas à chercher, il ne se conquiert pas, il n'est pas le produit d'une volonté. Posé devant soi par une bienveillance insondable, ne pas le voir, subir encore est possible. le choisir, lui, l'inconnu, ne demande qu'une chose, un instant d'innocence.

Alors, quel qu'en soit le prix antérieur, l'ombre s'atténue. le ciel, les visages s'éclairent. L'absence se coupe de furtives présences. Une simplicité s'étend. le vide même se fait vie. Au loin, les longues aiguilles de granit plantées dans le ciel sont encore froides et grises, mais en elles les atomes dansent... Et paraît le désir d'aimer. La naissance est prudente, elle grandit si on veille à ne pas la brusquer.

Un jour, furtivement, vient la nécessité de transmettre. Dire le sentiment d'unité dont les limites s'effritent. Dire, transcrire, montrer.

Montrer l'abstraction qui dépasse les mots. Aucun orgueil n'est en cause. Ce n'est que partage proposé. Dire le mystère des destinées qui, au-delà de la tourmente, et sans oubli atteignent à la paix, à l'acceptation et à sa liberté.

(Michel Desorbay - Préface du livre La Grande Neige / Fabienne Clauss - éd. de l'Astronome, 2010)
Lien : http://rozven.hautetfort.com
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