J’ai à nouveau regardé Le chagrin et la pitié, à la recherche d’un élément qui ferait tilt ou me permettrait au moins de me remettre les idées en place. Dans les films ou dans les livres policiers, c’est souvent un détail anodin qui fait un déclic dans l’esprit de l’enquêteur et lui permet de résoudre l’enquête. Naïvement, j’espérais ce genre de miracles.
Malgré ce que j’ai pu croire dans mon enfance, avoir des ancêtres glorieux ne m’avait pas rendue plus courageuse. La crainte de n’être pas à ma place, d’apparaître pour l’ignorante que j’avais encore le sentiment d’être malgré mes deux diplômes universitaires me retenait d’aller au bout de mes recherches. J’avais du travail, certes, des traductions à rendre et un roman à terminer, autant d’excuses imparables pour ne pas me rendre aux archives, mais ce qui me retenait vraiment c’était la peur de me couvrir de ridicule et celle de ne rien trouver.
C’est facile de jouer de l’argent quand on n’a jamais eu à le gagner.
On n’aimait pas trop qu’elle fourre son nez partout, comme ça, mais en même temps, on n’avait jamais su la gronder. Curieuse comme une chatte, répétait Jeanne en faisant semblant de se mettre en colère, elle est curieuse comme une chatte, cette enfant-là ! Dans une famille où l’on considérait la discrétion comme la plus grande des qualités, elle s’étonnait encore parfois qu’on lui eût passé ce défaut, comme tous les autres.
Parfois, on se réservait ce qui semblait mieux convenir aux uns ou aux autres, avec une courtoisie et une amabilité de salon de thé, en usant d’ailleurs d’un voussoiement qui à certains aurait pu sembler incongru.
Ils étaient là, leurs uniques faits d’armes, dans une certaine capacité à boire plus que de raison et à rentrer chez eux sans se faire prendre par leurs parents, ou à fumer des joints dans les toilettes du lycée quand ils étaient à peine plus jeunes ; certains avaient poussé l’héroïsme jusqu’à passer une nuit au poste pour ivresse sur la voie publique ou pour un peu d’herbe mal cachée.
L’Histoire, la grande histoire, celle qui a droit au H majuscule, elle ne la connaissait pas très bien, en revanche. Dans les grandes lignes comme tout le monde, les gentils, les méchants, les résistants et les collabos, mais les livres d’histoire l’intéressaient peu, ce qu’elle aimait, c’étaient les anecdotes, l’attaque de la gendarmerie, quand on avait volé des armes transportées ensuite à bicyclette et cachées chez un instituteur, la trouvaille géniale de dernière minute qui avait évité l’arrestation de réfractaires planqués dans une grange, les histoires de trahison aussi, et peut-être, plus quetout, l’ambiance qu’elle imaginait : l’aventure, tous les jours.
Il faut bien mourir un jour, et si c’est dans son lit et longtemps après sa naissance, il n’y a pas tellement lieu de se plaindre.