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Critique de BazaR


BazaR
16 février 2020
— Tiens, Zeus, tu es là aussi ?
— Ahura Mazda ! Ah, j'aurais dû m'en douter.
— Appelle-moi Ormuz ; c'est comme ça qu'ils font dans le roman.
— Ok. Ça vaut mieux. Les lecteurs risqueraient de te confondre avec une marque d'objets de stockage de ma foudre.
— Toujours le mot pour rire, Zeus. Donc, comme moi, tu en es réduit à chercher le cachet pour vivre.
— Les temps sont durs pour nous autres, vieux dieux. Les offrandes ont disparu et l'ambroisie se fait rare. Il faut bien manger.
— A qui le dis-tu ? Mais cette fois, je suis ravi de ce petit boulot. Il prouve que tous les hommes de ce temps ne nous ont pas oubliés.
— Bien d'accord. Il y avait longtemps que l'on n'avait pas écrit sur la dernière grande épopée grecque. Ce Philippe Cavalier ne s'est pas payé notre tête.
— Avant-dernière épopée, je dirais. L'histoire de Xénophon peut être vue comme une préquelle de celle d'Alexandre, inspiratrice du conquérant. Ce Cavalier ne s'est pas limité à l'exploration de l'épopée des Dix Mille d'ailleurs ; c'est toute la biographie de ce personnage étonnant qu'il déploie.
— Ce Xénophon a une histoire digne de mes fils. Peut-être en est-il un au fait ; je ne me souviens pas de tous. A travers de son enfance, c'est toute la guerre du Péloponnèse qui s'affiche en arrière plan. J'ai un peu regretté cependant que ces événements tragiques ne soient aperçus qu'à travers les yeux de l'enfant ou de son père Gryllos. Nous ne percevons que des échos de la campagne de Sicile par exemple.
— C'est parce que ce n'est pas le sujet essentiel, Zeus. L'essentiel se situe dans la découverte de ma Perse, dans la lutte de Cyrus II contre son empereur de frère Artaxerxés II, et surtout dans le trajet aller et retour des mercenaires grecs recrutés par Cyrus. Dès lors que Xénophon met un pied en Asie, nombreux sont les chapitres qui ne le mettent pas en scène, qui nous permettent surtout de voir les conflits à la cour de l'empereur achéménide. As-tu senti l'exotisme qui en émane ? Les splendeurs et les richesses immenses ? Les armées innombrables ? le riche passé évoqué à travers ces Assyriens et Ninive qui font encore figure d'épouvantails pour les Perses d'Artaxerxés ?
— L'amour de ton pays t'aveugle, Ormuz. La Perse a le mauvais rôle dans ce roman. Elle est infiniment cruelle et prétentieuse. Elle est une tyrannie pour tous ses peuples. Elle est l'ennemie qui traque sans pitié les héros grecs qui cherchent à retourner dans leur pays après la défaite de Cyrus à la bataille de Cunaxa. Elle est violente et fourbe.
— Quelle civilisation n'a pas montré de cruauté ni de violence ? Désigne m'en une, Zeus ! Oublies-tu à quel point le portrait que Philippe Cavalier fait d'Athènes est en demi-teinte ? Certes on y découvre une certaine liberté et un droit d'expression et de vote. Certes le théâtre grec y est encensé au point de faire dire aux personnages que son souvenir a sauvé Athènes de la vengeance spartiate et thébaine à la fin de la guerre. Certes des êtres exceptionnels comme le jovial Socrate – plus proche de Falstaff et Rabelais que de Kant selon l'auteur lui-même – et le froid Platon y évoluent. Mais il en ressort aussi la crédibilité et la folie meurtrière de la foule, la manipulation et le populisme des sophistes et des ambitieux comme Cléon et Alcibiade. Derrière l'honneur et la droiture d'un Gryllos ou d'un Nicias se cachent à peine la superbe et le mépris de l'aristocratie pour les classes inférieures. Et Sparte qui est très détaillée du fait du long emprisonnement qu'y vécut Xénophon pendant la guerre du Péloponnèse ; ne nous la montre-t-on pas en demi-teinte également ? D'un côté un comportement spartiate dur mais honorable, de l'autre un mépris profond pour les hilotes considérés plus bas que les animaux. Et la profonde inimitié des villes grecques entre elles vaut-elle mieux que l'unité perse sous le poing de fer de l'empereur achéménide ?
— Tu m'étonnes, Ormuz. Ce sont les interprétations d'un homme occidental de ce curieux 21ème siècle prompt à critiquer son passé qui ressortent dans ta tirade. Si par moments on sent les sentiments d'époque des Grecs vis-à-vis de leur culture, d'autres montrent la vision contemporaine de l'auteur. La critique de la religion en est un exemple, mais c'est surtout perceptible chez Xénophon qui éprouve de la compassion pour les paysans et les pauvres gens, qui est généreux et modeste tout en étant courageux. Même s'il ressemble à un anti-héros durant ses jeunes années, il satisfait à toutes les qualités qu'un homme peut imaginer chez un héros du temps de Cavalier.
— L'auteur a mis beaucoup d'imagination dans la description du personnage, c'est vrai. Pouvait-il faire autrement ? Les sources permettant de cerner l'homme réel sont rares. Philippe Cavalier n'hésite d'ailleurs pas à modifier la « réalité » historique pour renforcer le côté romanesque de son oeuvre. Les longs passages quasi mythologiques dans la ville d'Èa sont totalement inventés et ne sont pas forcément les plus intéressants. Mais l'auteur indique à son lecteur dans les annexes absolument toutes les dérogations qu'il s'est permises. C'est une des richesses de cet immense ouvrage.
— Oui, Ormuz. D'une manière générale ce récit est d'une grande richesse tout en restant respectueux de ses sources que sont l'Anabase de Xénophon et l'Histoire de l'Orient de Ctésias de Cnide. Ce Ctésias est d'ailleurs l'un des autres héros magnifiques et méconnus que dont le roman nous fait saisir l'importance historique. J'ai du mal à comprendre pourquoi la nouvelle forme de divertissement qui se nomme cinéma ne s'est jamais emparée de cette épopée. Pour ma part, je la considère à l'égal des travaux d'Héraclès ou de l'Odyssée d'Ulysse.
— Ce sera là peut-être l'occasion, Zeus. J'aurais de mon côté tendance à espérer un divertissement cinématographique s'inspirant de Cyrus le Grand, mais nous ne nous entendrons jamais là-dessus n'est-ce pas ?
— Non je ne pense pas, mais que cela ne nous empêche pas de festoyer ensemble. Allons chercher nos cachets, je connais une petit restaurant turc…
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