AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Cannetille


Selon une vieille légende milanaise, les merles doivent la couleur noire de leur plumage à un hiver particulièrement rigoureux qui les fit se blottir dans la fumée des cheminées. Depuis lors, les trois derniers jours de janvier, réputés les plus froids de l'année, sont appelés en Italie « les jours de la Merlette ». A ce joli conte traditionnel, Caterina Cavina a imaginé une suite nettement moins féerique, placée sous l'égide du féminicide…


Son surnom de la Merlette, la narratrice le doit à son assassinat, l'un des jours du même nom. Son corps abandonné aux eaux vertes et glacées des marais du delta du Pô, l'adolescente rejoint dans ces profondeurs glauques le choeur éploré des âmes de toutes les autres femmes victimes de la violence des hommes. Elles sont une multitude à croupir dans cet oubli aquatique. Mais, contrairement à elles, notre dernière venue n'en a pas encore fini avec sa vie terrestre. La voici renvoyée parmi les vivants, bientôt chroniqueuse judiciaire animée d'un impitoyable esprit de vengeance.


L'on s'enfonce dans ce livre comme l'on perdrait pied dans les eaux putrides et les vapeurs méphitiques du marécage, bientôt gagné par la répulsion et le dégoût, tant, entre féminicides et infanticides, inceste, pédophilie, nécrophilie et autres joyeusetés crûment évoquées, une véritable gangrène semble, dans l'indifférence générale, corrompre les rapports domestiques. En fait d'hommes, l'on ne croise dans ces pages que « des porcs sur deux jambes », gouvernés par des pulsions sexuelles qu'ils assouvissent impunément, dans une violence devenue discrètement ordinaire. Tant pis si les victimes en perdent jusqu'à la vie, il suffit d'en détourner les yeux pour se sentir sauf, que l'on soit perpétrant ou témoin.


Si l'on ne dénoncera jamais assez ces violences faites aux femmes et même aux enfants, l'on ne peut se déprendre d'un sentiment de malaise à la lecture de ce texte imprégné des excès d'une colère que, d'après la présentation de l'auteur par l'éditeur, l'on perçoit motivée par un vécu et une souffrance personnels. A ces crimes présentés comme ordinairement répandus dans un climat d'impunité générale, l'auteur et son personnage répondent par la haine et la vengeance, versant dans une auto-justice que les aspects surnaturels du roman ne rendent pas moins dérangeante. Et, même si, sur le tard, la narratrice en vient à une forme d'apaisement, réconciliée avec l'espèce humaine au contact d'autres personnages plus droits malgré leurs déchirements personnels, l'on garde de cette lecture le sentiment nauséeux d'une vision exagérée et distordue par la haine et par la rancune, à l'origine d'une virulence de ton menant à de dangereux extrêmes.


Dans la mouvance #MeToo et BalanceTonPorc, un texte dérangeant, non pas seulement en raison des crimes qu'il dénonce, mais aussi en ce qu'il montre comment la violence corrompt, à leur insu, jusqu'à la perception du monde par les victimes. Heureusement, les hommes ne sont pas tous des porcs : c'est ce que l'on a envie de crier en refermant ce livre.


Un grand merci à Murielle Hervé-Morier, alias irisrivaldi, pour son excellent travail de traduction et pour m'avoir fait découvrir cette oeuvre si originale et perturbante.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
Commenter  J’apprécie          809



Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten
Ont apprécié cette critique (80)voir plus




{* *}