Les souvenirs sont mes monstres préférés, j'aime en faire des puzzles... Les livres... Les reliques, la mémoire de l'espèce. Car oui, il en reste. Je les mets dans des cartons recyclés. Ils ne dorment jamais mais ils font des cauchemars, eux aussi, et leurs messages débordent furieusement des boîtes. Je leur donnerai des tisanes pour les soigner.
Bref vous voyez le tableau. Ca explique que souvent il faut que j'aille me balader solitaire, dans les bois ou au bord du Dragon, dans un coin où il y a une cascatelle bruyante. Là pendant dix minutes, je hurle ! Je hurle tous les mots d'avant accumulés dans les coins de mon cerveau : "internet ! hélicoptère ! ordinateur ! ventilateur ! climatisation ! cloud ! gafam ! fake news ! émoji !"
Mais c'est tellement inimaginable. Comment pourrais-je pleurer sur eux ? Pas plus qu'eux ne pouvaient pleurer sur les morts des pestes médiévales, sans doute... Je suis même forcée de les remercier d'avoir disparu, d'avoir vidé les lieux, d'avoir libéré la Terre de leur masse de ravage et d'avoir évacué avec eux leur béton, leur bitume, leur métal et leur plastik !
Ce n'est pas en vain, que nous, les demeurants, nous avons fui l'air en comprimé, les gélules élémentaires, l'eau en tube, l'esprit en cachets, l'amour en sirop, les superpositoires, les vapoteurs électroniques...
Bon, pour en finir, ça a été le énième "nouveau" coronavirus, vite rebaptisé covid-99 pour des raisons internationales et historiques qui ne nous concernent pas.
La dégradation de TOUT se fit en une dizaine d'années et la dépopulation s'étala sur approximativement cinquante ans... Finalement il est peut-être resté un milliards d'habitants sur la planète... ou moins.
Un petit milliard de traumatisés. Un reste d'humanité comateuse.
En dessous, mise à nu, la terre-La Terre ! Humus herbeux bourré de lombrics, arbres chevelus qui vacarment au vent, mer, eau verte, poissons et madrépore, carpes et lapins, bavardages des forêts, sang battant des artères, fourmis rouges et noires, cheveux poussés vers le ciel, ciel nuages, vent, vent, vent, nids de taupes, tatous sans tabous, bousiers et barbouillages.