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Critique de Jolap


« Les miennes d'idées elles vadrouillent plutôt dans ma tête avec plein d'espaces entre, c'est comme des petites bougies pas fières et clignoteuses à trembler toute la vie au milieu d'un abominable univers bien horrible. »

Cette phrase résume assez bien ce long voyage au pays des désillusions je trouve. C'est Ferdinand Bardamu, le personnage principal de ce roman qui parle. Et Ferdinand Céline carabin aussi, lui ressemble à s'y méprendre. Nous suivons les petites bougies en France, en Afrique puis aux Etats-Unis. La guerre, les colonies, le capitalisme, le blabla, la propagande, la médiocrité, la solitude, la compréhension des êtres et des choses. Nous sommes au pays des hommes. Au pays des hommes avec sous les yeux une langue écrite aussi vivante et animée qu'un échange verbal mais qui aurait été travaillée, dosée et si justement posée qu'aucun interlocuteur n'aurait prit le parti de l'interrompre.

Bardamu avance, avance encore : « J'ai fini par m'endormir sur la question, dans ma nuit à moi, ce cercueil, tellement j'étais fatigué de marcher et de ne trouver rien. » Céline ça claque, ça vit, ça tremble. Une explosion de ressentis, des sentiments remontés d'on ne sait où, de qu'elle profondeur, de quelles vérités qu'on aurait laissées filer.

« J'en avais pour mon compte à force d'en prendre et d'en laisser des rêves, la conscience en courants d'air toute fissurée de mille lézardes et détraquée de façon répugnante ». Et ça cogne encore…..

Il bouscule et traite avec vigueur de la pauvreté, de la résilience, de la force, de la lâcheté, du crime, du mensonge, de l'avarice, de la vie et de la mort. On remet le voyage en route et tout ce que l'homme pense, fait, dit ou ne dit pas est soigneusement, harmonieusement, subtilement orchestré. Un plan vigoureusement arrangé avec une histoire, une vraie histoire qui enrobe le tout pour séduire le lecteur. Les personnages sont passés au scanner. Corps et âmes, coeurs, tripes, cerveaux, regards tout y passe.

Ils s'appellent Henrouille, Martrodin, Ormanon, Parapine, Bioduret. Ils sont commandant, trouffions, hôtelier, médecins, prêtre, prostituées, traines-savates, aventuriers ou presque rien, juste eux-mêmes. Ils sont là, proches de nous et nous livrent leur arrogance, leurs vérités, leur petite musique .Nous sommes pieds et poings liés.

Lorsque le mal a fait saigner et que le désespoir s'annonce Céline arrose tout ça d'une description de la nature belle à tomber. Il calme le jeu. Il oppose l'homme capable de provoquer bien des tourments à une nature lénifiante et sans reproches. Sous sa plume avertie le vent tout souriant, se penche à travers mille feuilles en rafales douces, le ciel parade tout giclé d'un bout à l'autre d'écarlate en délire et le vert éclate au milieu des arbres et monte du sol en trainées tremblantes jusqu'aux premières étoiles. le gris reprend tout l'horizon et toutes les couleurs retombent en lambeaux, avachies sur la forêt comme des oripeaux.

Pendant le voyage nous sommes sans arrêt ballottés sur un chemin assez torturé, ballottés entre le style et l'émotion. Les choses s'animent et les gens s'enveniment. Oui les choses ont du caractère : New-York est une ville bâtie en raideur, les pelouses sont teigneuses, les litres grelottent sous les tables, tandis qu'un bateau va tranquillement d'une crainte à l'autre. C'est de l'art brut à porter sur les fonds baptismaux.

Un style incroyable. Un style qui loin d'être ampoulé a du corps, comme un grand vin. Des phrases légères parce qu'elles vont joliment à l'essentiel. Les hommes placés sur plusieurs continents dans une seule histoire il ne fallait pas traîner! Un bain d'humanité vif, nerveux, vibrant, marqué au fer d'une manière originale et savoureuse. Au fil de cette longue aventure on rencontre une femme ou un homme au coin d'un chapitre on peut les avoir croisés la semaine dernière, là, dans un village voisin. Céline les a bien écrits. On les reconnait tout de suite.

Une révolution, ce livre. le langage de l'oralité parsemé ça et là de tics de langage sans jamais une seule note de vulgarité. le travail de la fulgurance, sans concession, sans faux-semblant. Il faut l'entendre Fabrice Lucchini déclamer quelques passages du voyage, se donnant entièrement au texte, appuyant sur le plein, protégeant le délié.


(Le mot « Bla bla a été invienté par Céline. Il est entré dans notre langue à tous.)

Céline a commis des fautes graves et c'est un autre sujet. Loin de le comprendre et de l'excuser je n'en parle pas. D'autres le font abondamment. Comme l'a très bien dit Nastasia B dans son billet. Il y a l'homme et il y a l'oeuvre. Si on ouvre la première page de ce monument Impossible d'arrêter le voyage.
Ce billet, je le répète, ne concerne que ce Voyage au bout de la nuit, qui aurait pu s'intituler Voyage au bout de la vie. Céline se situe t-il entre génie et folie?

C'est pour moi une oeuvre magistrale qui a donné un coup de vent frais à la littérature, faisant fi des codes souvent un peu "serrés" de cette époque. Ce texte frénétique, original, semble couler tout seul. Est-ce dû à son apparence naturelle ?
Céline le disait et je le crois volontiers, c'est le fruit d'un travail extrêmement fourni. Il avait beaucoup de choses à dire et il les a très bien dites. Un savant dosage entre talent, labeur, observation et intelligence. Un style incroyable….Un cheval au galop.

J'ai été un peu trop longue, mais moi aussi j'avais des choses à dire, des émotions à partager. J'ai dû me remettre d'une surprise totale. Une magnifique surprise.

C'est la fin. « Il appelait vers lui toutes les péniches du fleuve toutes, et la ville entière, et le ciel et la campagne, et nous, tout qu'il emmenait, la Seine aussi, tout qu'on n'en parle plus. »
C'est la fin de ce billet pour moi aussi. J'ai tout emmené de ce livre et je voudrais tout garder en mémoire. Et Qu'on n'en parle plus.
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