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Critique de gerardmuller


Voyage au bout de la nuit/Louis Ferdinand Céline/Prix Renaudot 1932
La Grande Guerre, l'Afrique, l'Amérique et le retour en France : Ferdinand Bardamu va tout connaître et nous conter ses aventures et pérégrinations tout au long des 500 pages de ce délicieux et picaresque récit.
Des horreurs de la guerre il nous parle dans son langage imagé et cru, évoquant ses illusions perdues, lui l'innocent pacifiste qui revient brisé par ce qu'il a vécu.
Du colonialisme en Afrique, il dénonce l'immoralité et la cruauté. Militaires, fonctionnaires et commerçants se côtoient à la colonie, mais l'élément militaire est encore plus abruti que les deux autres, et bouffe de la gloire coloniale …Le gouverneur dont l'inexpiable muflerie forme le fond de la grande conversation apéritive, en prend pour son grade.
De l'Amérique, il souligne les contradictions du capitalisme. Dans ce pays où il ne faut pas être malchanceux, il tente de survivre d'expédients tout en côtoyant la généreuse Molly, une jeune prostituée.
« On se demande comment le lendemain on trouvera assez de force pour continuer à faire ce qu'on a fait la veille et depuis déjà tellement trop longtemps, comment on trouvera la force pour ces démarches imbéciles, ces mille projets qui n'aboutissent à rien, ces tentatives pour sortir de l'accablante nécessité, tentatives qui toujours avortent, et toutes pour aller se convaincre une fois de plus que le destin est insurmontable, qu'il faut retomber au bas de la muraille, chaque soir, sous l'angoisse de ce lendemain, toujours plus précaire, plus sordide. »
Et puis la France où il exerce la médecine en banlieue. Sans se leurrer.
« La médecine, c'est ingrat. Quand on se fait honorer par les riches, on a l'air d'un larbin, par les pauvres on a tout du voleur. »
Ce long voyage sur les chemins de la misère humaine touche par l'humanisme de Bardamu qui ne ferme jamais les yeux sur les pires vices des hommes et qui n'aime ni les vétilleux ni les hâbleurs.
Des soldats, des rançonnés de la vie, il met en lumière la précarité, eux les couillons de la vie, les battus, les transpirant de toujours, et les prévient que quand les grands de ce monde se mettent à les aimer, c'est qu'ils vont les tourner en saucissons de bataille.
La puissance du style atteint parfois des sommets :
« Les vieillards de l'hospice s'en allaient crachoter leurs cancans avec leurs caries d'une salle à l'autre, porteurs de petits bouts de ragots et médisances éculées. Ici cloîtrés dans leur misère officielle comme au fond d'un enclos baveux, les vieux travailleurs broutaient toute la fiente qui dépose autour des âmes à l'issue des longues années de servitude. »
Alors, parvenu au terme de ce récit d'une grande qualité littéraire, on ne peut éviter se poser la question : peut-on tenir ainsi des propos nettement racistes, xénophobes, homophobes et parfois antisémites ? Bardamu est –il vraiment Céline ? Qui peut répondre ? Il convient peut-être de replacer cette oeuvre dans le contexte d'une époque qui suivit juste la crise de 1929.
Quoiqu'il en soit, c'est un livre qui vous prend aux tripes et que vous n'oublierez jamais. Provocateur lucide, Céline ne mâche pas ses mots.
Un mot sur la forme : le style de Céline est populaire et imagé, cru et outrancier, provocateur et sans concession presque un style parlé avec sa syntaxe et sa grammaire particulières, mais avec quelques beaux subjonctifs imparfaits issus du respect constant de la concordance des temps. Les mots sont habilement choisis, avec leur truculence et leur pittoresque. le foisonnement d'idées et d'histoires qui se succèdent rappelle parfois Gabriel Garcia Marquez dans « Cent ans de solitude. »
Certains passages sont des moments d'anthologie, tel cette narration des ébats de Bardamu enseignant le français à Sophie la belle et sculpturale masseuse slovaque de la maison de fous, dont la seule présence ressemblait à une audace dans cette maison boudeuse, craintive et louche. Sophie, ignorante de la somme des abandons croupissants de Bardamu et des autres ratés de son espèce. Ce qui fait dire à Bardamu : « On peut baiser tout ça. C'est bien agréable de toucher ce moment où la matière devient la vie. »
Mais il sait en toute occasion rester lucide : « Amoureux ce n'est rien c'est tenir ensemble qui est difficile… Ce corps à nous, travesti de molécules agitées et banales, tout le temps se révolte contre cette farce atroce de durer…Notre torture chérie est enfermée là, atomique, dans notre peau même, avec notre orgueil. »
Un pessimisme foncier quand il dit : « La vie c'est ça, un bout de lumière qui finit dans la nuit. » Avec des lueurs : « le bonheur sur terre ça serait de mourir avec plaisir, dans du plaisir… Une petite femme un peu violente et un peu vicieuse, y a pas à dire, ça vous transforme un homme à pas le reconnaître. …Le reste c'est rien du tout, c'est de la peur qu'on n'ose pas avouer, c'est de l'art ... »
Un grand livre d'une violence volcanique, une somme d'expériences de tout ordre, exhalée comme un cri d'affliction, dans un style tout à la fois bouleversant et ordurier, exprimant une profonde compassion pour les faibles et les victimes de la vie sociale. de ces lignes émane une sensibilité quasi morbide aux accents de révolte et de désespoir.
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