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Critique de Lamifranz



On connait Gilbert Cesbron le romancier, on connaît moins Gilbert Cesbron le dramaturge. 7 pièces seulement dont la première « Il est minuit, Docteur Schweitzer » eut à son époque un succès retentissant, et qui, avant de tomber dans l'oubli, essuya une accusation de bondieuserie bavarde, artificielle et sentencieuse. Accusation outrancière si on prend le temps de lire le texte, de le replacer dans son contexte d'écriture, et dans celui de l'action.
Nous sommes le 1er août 1914, à Lambaréné, au Gabon. le docteur Albert Schweitzer est un médecin, pasteur, et théologien (protestant). Il est alsacien, donc en 1914, de nationalité allemande. Il est aussi un remarquable musicien, il joue du piano et de l'orgue, il est un spécialiste reconnu de Jean-Sébastien Bach. Depuis un an (1913), il a construit cet hôpital de brousse où il combat entre autres maladies, le paludisme.
La date n'est pas innocente : le 3 août, l'Allemagne va déclarer la guerre à la France. A Lambaréné, avec cette menace, un huis-clos va s'installer entre cinq personnages : le docteur Schweitzer, 40 ans, son assistante Marie, 32 ans, le père Charles de Ferrier, 42 ans, le commandant Lieuvain, 40 ans, et l'administrateur Leblanc, 38 ans. Les personnages sont eux-mêmes symboliques et transparents : Schweitzer est un « saint civil », comme Cesbron aime en faire figurer dans ses romans : pas sans défauts mais d'une haute valeur morale, humaniste et généreux ; le père Charles est un « saint religieux » on peut y voir en filigrane le père Charles de Foucauld ; le commandant Lieuvin est un militaire, et qui plus est un militaire colonial, en qui on peut reconnaître Liautey ; Leblanc est l'administrateur colonial, la voix de la France, dans tout ce qu'elle peut avoir d'administratif, tatillon, et colonialiste ; Marie, quant à elle, est la figure féminine, séduisante sans être séductrice, réfléchie et consciente de son rôle (elle rappelle par bien des côtés l'Hélène des « Saints vont en enfer », écrit la même année). Tous les grands thèmes sont balayés, des plus généraux aux plus intimes, avec une vérité de ton qui force l'admiration : l'amour, la mort, la guerre et la paix, la souffrance, le sens de la vie, Dieu… Gilbert Cesbron met en scène ces personnages qui s'affrontent ou se rejoignent, et mettent en lumière le caractère humain qui les anime, chacun le sien.
Cesbron connaissait personnellement le docteur Schweitzer, qu'il avait rencontré à Gunsbach (Alsace) en 1949. Conscient d'avoir devant lui une personnalité hors du commun, il n'en dresse pas pour autant une hagiographie : Schweitzer était pétri de contradictions : blanc médecin des noirs, il avait une mentalité de colonial ; médecin, il était plutôt réfractaire à la médecine traditionnelle ; les noirs étaient ses frères, mais pour rien au monde il n'aurait mangé comme eux…
La pièce eut du succès, le film qui en fut tourné par André Haguet en 1952, en eut encore plus : Pierre Fresnay y tenait le rôle principal, aux côtés de Jean Debucourt, Raymond Rouleau, André Valmy et Jeanne Moreau. Aujourd'hui il a bien vieilli, et le jeu des acteurs paraît ampoulé et surtout terriblement bavard. En revanche lire le texte de la pièce reste un plaisir et une invitation à la réflexion.

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