Si chères étaient devenues les places, si redoutable le risque du chômage au sein d’une profession aussi menacée que les dernières populations de rhinocéros noirs, que nombre de journalistes avaient opportunément abdiqué leur esprit critique et leur liberté de parole. Pas plus qu’il ne se reconnaissait dans son pays, Saint-Réal ne se trouvait d’affinités avec des confrères qui ne pensaient qu’en troupeau et ne chassaient qu’en meute. Des moutons qui bêlaient les pauvres slogans de la pensée unique mais qui, à l’occasion, se changeaient en hyènes, traquant avec hargne les déviants et les réfractaires au camp du Bien. Le cercle de la vertu autoproclamée avait banni de la presse toute pensée hétérodoxe. Sous la plume des éditorialistes de tout bord, Saint-Réal ne s’étonnait plus de lire les mêmes commentaires, les mêmes éloges et les mêmes dénonciations. Le plus drôle ou le plus pathétique était que ces gardes-chiourme aux ordres de l’orthodoxie se présentaient comme des parangons d’insoumission. Le comble du conformisme s’avançait sous l’étendard flatteur de la révolte.
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DÉFI RENTRÉE LITTÉRAIRE 2019
CHALLENGE ABC 2019/2020
"Le comble du conformisme s'avançait sous l'étendard flatteur de la révolte."
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Description de Nouakschott, capitale de la Mauritanie:
"Malgré lui, il ne pouvait s'empêcher d'aimer d'un goût frelaté ces villes anarchiques et pouilleuses du tiers-monde, aux limites imprécises, aux bidonvilles mouvants, aux rues et aux trottoirs défoncés, jonchés d'ordures, aux maison ou aux immeubles hérissés de poutrelles et de fers à béton, qui donnent l'impression d'être précaires, inachevées, en perpétuel devenir. Mais où la vie, misérable, et pourtant joyeuse, à l'encontre des métropoles musées de la vieille Europe, cimetières des prétentions d'une civilisation exténuée, grouille comme une fourmilière."
p.14/15
C’est du foutoir que nous avons installé au Moyen-Orient, par stupidité, arrogance et cupidité, qu’a surgi le terrorisme islamiste, dont nous n’avons pas fini de subir les ravages. Aujourd’hui, à cause du climat de peur généralisé chacun se méfie de son voisin, dès qu’il a un faciès suspect, arabe ou pakistanais. À Stroud, que tu connais bien, j’ai remarqué que des gens changent de trottoir quand ils croisent une femme en burqa. Comme tu le disais, la parano est partout, pas seulement au GCHQ… Résultat, il n’y a plus de présomption d’innocence. Le moindre individu qui fréquente des sites suspects ou qui regarde régulièrement Al Jazeera est soupçonné d’être un terroriste virtuel. C’est pourquoi j’estime que les lanceurs d’alerte sont utiles, s’ils forcent nos gouvernants à respecter un peu les lois dont ils sont supposés être les garants.
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DÉFI RENTRÉE LITTÉRAIRE 2019
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