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Critique de marieberchoud



L'inspecteur Dalil à Paris, de Soufiane Chakkouche, aux éditions Jigal / polar, ce roman a retenu mon attention pour deux raisons qui se tiennent par la main : l'auteur est marocain écrivant en français, et il ose le polar. Certes, ce n'est pas le premier, il y eut Driss Chraïbi avec sa série de l'inspecteur Ali (L'inspecteur Ali, 1993, Gallimard, réédité en Folio, L'inspecteur Ali à Trinity College, Denoël, 1995, L'inspecteur Ali et la CIA, Denoël,1996, etc.), mais il est là, et sa valeur ajoutée (selon moi) consiste en ce qu'il prend en charge les relations franco-marocaines, leur vécu inter-individuel et leur expression. Et ça, c'est une innovation aussi intéressante qu'utile. Les uns diront halte à l'individualisme, les autres, que tout est politique, mais on peut objecter que le vécu et le ressenti sont premiers, et souvent partagés, donc partageables. C'est ce que fait Chakkouche et c'est l'originalité majeure de son roman.
Qui est Soufiane Chakkouche ? L'homme est diplômé de l'école de journalisme de Paris après des études scientifiques. Ce roman policier paru en septembre 2019 est son deuxième, après L'inspecteur Dalil à Casablanca, qui marque l'irruption du personnage sur la scène littéraire. le ciblage sur les lieux est intéressant, car il ouvre une ligne de force orientée sur les relations Maroc-France au travers du vécu et des perceptions d'un personnage riche de possibles, l'inspecteur Dalil, qui va prendre l'avion pour Paris (certains épisodes sont de véritables rappels pour qui franchit ces frontières !).
Les personnages, parlons-en : cet inspecteur athlète d'1,85 m, permis moto et amateur de voitures de sport anciennes, semble descendu de l'Atlas, lui ou ses ancêtres, pour éblouir les Franzaouis à son/leur contact. Son alter ego français, le boss du 36 quai des Orfèvres (QG aujourd'hui délocalisé en banlieue) est un mec moyen, un peu bedonnant, pas très grand ni athlétique, mais vaniteux. Un Français, quoi ! de quoi réjouir bien des lecteurs, et faire rire les autres : c'est bien que les conflits se disent, créent de l'échange au lieu de perpétuer des conflits et des rancoeurs. En effet, quel fqih pour nous dire la solution sage ? Aucun. Sauf les écrivains, il faut leur rendre grâce, ce sont des médiateurs, chacun à sa manière. Ah, il y a aussi dans le lot des personnages un Mohammed, flic français dandy et amateur de luxe, mais on ne le voit guère parler avec Dalil, et le traitement que lui réserve l'auteur est révélateur, mais je ne le révélerai point afin de ne pas spoiler, divulguer & gâcher le roman. L'inspecteur Dalil est accompagné de la Petite voix intérieure, sans doute sa conscience, ou son miroir interne, un peu comme la petite souris de Plantu ou la coccinelle dans la rubrique-à-brac de Gottlib, c'est un dispositif ingénieux de discours intérieur vivant et imagé. Citons la Petite voix,
« Avec tout le respect que je vous dois, inspecteur, c'est complètement contradictoire, voire hypocrite, ce que vous faites. En tant que musulman, vous buvez de l'alcool et vous ne mangez pas de porc ! Je le dis parce qu'au bled, le problème ne s'est jamais posé, il n'y a pas de porc là-bas. » (p. 147). Ajoutons une brève description intéressante (p. 139), « Dalil inscrivit sept vocables sur son calepin, que même la Petite voix eut du mal à déchiffrer ». Ces notes sont-elles en arabe écrit, en français abrégé… nous ne le saurons pas, ou juste un peu, car ces vocables peuvent être des mots d'une langue à graphie consonantique (car l'arabe peut aussi être graphié en alphabet latin étendu), ou une cohabitation de langues graphiées à l'usage exclusif du possesseur du carnet. Je ne voudrais pas terminer ce paragraphe sans citer la fin du chapitre : « le paysage en béton coulait, des bandes de pluie défilaient verticalement sur la vigre comme autant de larmes sur la joue d'une maman syrienne. Une Alépine. Fatigé de la bêtise humaine, il [Dalil] soupira profondément puis reposa la tête sur la fenêtre. Vues de l'extérieur, les larmes semblaient rouler sur ses joues à lui. » (p. 139). On se dit alors que la Petite voix est aussi celle de l'auteur, singulière, imagée, sensible, comme le sont les voix tressées de plusieurs langues et cultures. C'est souvent un délice, vous verrez !
Revenons aux personnages. En plus de ceux dont on parlera plus bas dans l'action (le commando islamiste débarqué à Roissy, l'étudiant Bader Farisse et son professeur à Orsay, un prof atypique et haut en couleurs, il faut mentionner le mystérieux homme au panama, qu'on retrouve à la fin), il y a les jeunes blondes, qui semblent fasciner l'inspecteur Dalil, sans qu'on en sache plus. Discret, cet inspecteur-là, c'est normal. Il agit de même avec la religion, le pays et l'alcool…
L'action, maintenant. le super-inspecteur Dadil a été appelé du Maroc à la rescousse de la police française pour une affaire impliquant vraisemblablement DAESH, puisqu'un commando venu d'Orient a atterri à Roissy et il est pisté par les limiers français. Que vient faire ce commando ? Là, autre originalité du roman, nous basculons dans le transhumanisme et l'humain augmenté, grâce à un labo et un doctorant marocain super-brillant, Bader Farisse : une puce pourrait être implantée dans le cerveau d'un être humain et elle lui donnerait de super-pouvoirs cérébraux, tels que ledit humain deviendrait super-humain capable de pénétrer réseaux, circuits et pensées autour de lui et au loin. Cela ne vous rappelle rien ? Les surhommes du nazisme, Übermenschen, face aux Unternmenschen, sous-humains parqués dans les camps de la mort. Là intervient DAESH, cette organisation auto-proclamée État islamique fait tout pour acquérir cette puce mise au point dans un labo de pointe, et la faire implanter par un super-neurochirurgien de Montpellier. Implanter sur un humain de sexe masculin, bien sûr, il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes. En tout cas, l'enjeu est bien de créer un surhomme qui verra le retour du Mahdi (envoyé, dans le Coran) et enfin établira le règne de l'islam !
Mais voilà que le neuchi (neurochirurgien) a disparu, et que le thésard marocain s'est fait enlever non loin de la mosquée de la rue Myrha, et la voiture, une Twingo volée, a pu filer ! L'imam est interrogé par l'inspecteur Dalil, c'est un imam d'origine algérienne, ça compte, il faut un jour faire la paix avec ses voisins, non ? Il est futé, mais Dalil l'est tout autant. le duel est délicieux à lire. de même la description de la mosquée, « Dalil n'avait jamais vu pareil lieu de culte musulman. Nul minaret pointé vers le ciel gris tel un stylo géant, nul portail en fer forgé orné d'un savoir générationnel, nulle calligraphie en zellige coloré par un mâalem artisan ; une simple porte en ferraille peinte dans un vert bon marché et au-dessus de laquelle on avait gravé au burin quelques lettres arabes dans un granite jaune. Comble de l'ubuesque, une supérette en face et tenue par des Subsahariens proposait en vitrine, bien en évidence, des bouteilles d'alcool. » (p. 42)
L'action va donc se dérouler à bon rythme jusqu'à une fin demi-prévisible mais pas prévue, aux chapitres 20 et 21, ce qui est la marque d'un bon roman. Ensuite, le roman se retourne sur lui-même tel un gant, une peau, deux peaux ? et c'est le chapitre zéro, inventé par les savants arabes, le chiffre, et sans doute la structure du chapitrage. le roman se termine sur une notation linguistique et narrative de type ritournelle, vrille sans fin ou retour. Chut ! le reste est silence et transmission.
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