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Critique de thedoc


thedoc
05 septembre 2023
Coup de coeur.

A 7 ans, il a volé 3 oeufs. Parce que ses grands-parents qui l'avaient en charge ne le nourrissaient que de restes et qu'il avait faim.
A l'âge de 13 ans, par solidarité avec des copains d'infortune comme lui, il se fait prendre par les gendarmes pour l'incendie d'un atelier de couture auquel il n'a pas participé.
Pour Jules Bonneau, le petit Mayennais abandonné par ses parents, les dés sont jetés. Direction la Colonie pénitentiaire maritime et agricole de Haute-Boulogne, situé à Belle-Ile-en-Mer où il arrive le 16 mai 1927. Il ne doit en repartir qu'à sa majorité, à l'âge de 21 ans.
Là-bas, à la Colonie rebaptisée Maison de correction surveillée pour faire plus acceptable, Jules Bonneau devient la Teigne. Face aux surveillants qui frappent, face aux punitions et aux humiliations, face aux travaux, La Teigne ne baisse pas les yeux. Plein de hargne, plein de colère, il rêve de meurtres, de révolte et de vengeance pour survivre. Il n'aime pas les caïds, il méprise les faibles. Il ne doit rien ressentir pour tenir. Mais La Teigne est bien plus droit qu'il ne le croit et les innocents qui trinquent, il ne supporte pas. Un jour, c'est la violence de trop, la révolte se met en marche et les jeunes colons s'évadent. Tous seront repris, sauf un. La Teigne manque à l'appel.

Sorj Chalandon s'est appuyé sur des événements historiques ayant réellement eu lieu pour écrire ce roman passionnant, plein de fougue et d'émotion. Là-bas, sur le glacis de la citadelle Vauban à Belle-Ile, s'est vraiment dressé ce bagne pour enfants où l'on emprisonnait des gamins de 12 à 21 ans. Des petits délinquants, des voleurs, des vagabonds, des orphelins. Pas besoin d'avoir commis un crime pour aller à la colonie, il suffit juste de ne plus avoir de parents ou d'en avoir qui vous envoient là-bas pour être dressé, et bon débarras. L'évasion du 27 août 1934, en mettant sous les feux des projecteurs la Colonie, a permis de révéler les conditions de détention de ces enfants. Les coups, les brimades, les abus, le travail forcé dans les champs où la main d'oeuvre manquait, la mascarade d'une formation de marin sur un bateau amarré dans une cour de béton. Jacques Prévert, si bien amené dans le récit, fera de cette évasion à laquelle il a assisté de loin, un poème, « La chasse à l'enfant » durant laquelle, touristes et îliens livraient pour 20 francs les enfants à leurs bourreaux dans une macabre battue festive.

Et oui, il y a bien eu un jeune qui s'est évadé. Chalandon a alors imaginé le personnage de la Teigne, personnification de la colère, une bête sauvage qui à force de compréhension et d'amour, s'adoucit, s'humanise, desserre les poings face à la main tendue. Avec La Teigne, mais aussi tous les autres jeunes, comme le jeune Loiseau que les gardiens mettent dans les griffes d'un caïd qui en fait ce qu'il veut juste pour avoir la tranquillité dans le camp, Chalandon dresse des portraits bouleversants d'enfants démolis par la société ou leur famille. Il y a tous ceux aussi qui sont nés à côté de la chance, une expression qu'on emploie chez moi… en Mayenne justement.

« l'enragé », c'est également le tableau d'une île où la mer demeure la muraille infranchissable pour Jules. Plus largement, c'est la Bretagne qui se déploie, avec ses pêcheurs taiseux qui triment et qui s'aiment. On y rencontre la noblesse et la lâcheté, la solidarité et la mesquinerie, chez les hommes comme chez les femmes. La délation aussi, déjà, dans cette France de l'entre- deux-guerres où monte le fascisme qui n'épargne pas l'île.

Dans son style lyrique et vif, Chalandon emporte donc le lecteur dans cette histoire pleine de rage, d'amour, de rédemption. Il redonne vie à ces gamins fracassés dont la souffrance nous bouleverse, à ces gens simples dont l'humanité nous émeut.

La prochaine fois que je prendrai le bateau de Belle-Ile, mon regard ne sera plus le même lorsqu'il se tournera vers la Citadelle. Il sera au-delà. En un autre lieu, en une autre époque. Dédié aux enfants de la Colonie.

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