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Critique de Kirzy


Kirzy
03 décembre 2023
°°° Rentrée littéraire 2023 # 47 °°°

Colonie pénitentiaire de Belle-Ile-en-Mer. le 27 août 1934, 56 enfants s'évadent après une révolte dans le réfectoire. La chasse aux fugitifs est lancée, 20 francs pour chaque enfant ramené, les uns après les autres. Sauf un, jamais retrouvé. C'est de ce fait divers que s'est emparé un Sorj Chalandon plus empathique et investi que jamais, imaginant le destin du rescapé sous les traits du jeune Jules Bonneau.

C'est un livre que j'ai refermé les yeux embués, émue, chamboulée par le destin de ce Jules.

Parce que ce roman est un cri juste en faveur de l'enfance meurtrie.
Parce que Sorj Chalandon est un pur conteur qui sait embarquer le lecteur, un conteur sincère dont on sent battre le pouls, dont on sent vibrer les indignations. La rage de ces enfants martyrs de Belle-Ile-en-Mer, c'est la sienne. Les coups qu'ils reçoivent, on sent que cela a été la sienne, que c'est encore la sienne. On sent qu'il est un des leurs.
Parce que l'irruption de Monsieur Prévert - avec son poème La Chasse aux enfants - dans le réel du récit, c'était juste une idée sublime.

Là, comme ça, direct après lecture, j'aurais mis cinq étoiles. Mais, après plusieurs semaines à laisser reposer, les coutures romanesques ainsi que les facilités du récit me sont apparues assez grossières ou du moins trop outrées à la limite du racoleur, quelles que soient les bonnes intentions de l'auteur.

La première partie présente très précisément la vie des enfants colons. Qui ils sont. Pourquoi ils sont là. Ce qu'on leur reproche. La maltraitance au quotidien. Comment ils ont fini par se révolter. C'est marquant, fort, mais sans doute trop long avec un petit côté catalogue de sévices et douleurs : je ne pense pas qu'il y avait besoin d'autant s'étendre pour qu'on soit acquis à Jules et ses camarades et lié à leur quête de liberté. La partie « évasion », à mon sens la plus réussie, est plus courte, rythmée, saisissante, haletante.

C'est la partie « planque » qui m'a au final le moins convaincue. Les personnages secondaires sont vraiment très caricaturaux ( le communiste, le basque, le bourru pêcheur, le fasciste, l'infirmière ). Surtout Sorj Chalandon a mis trop de thèmes politico-sociétaux liés au contexte des années 1930, ce qui brouille le vrai sujet - en tout cas pour moi - et ses enjeux, celui que j'aurais aimé voir approfondi : l'évolution psychologique des rapports entre Jules et ceux qui l'aident, ou comment Jules ( «Chacal pelé, sans père, sans mère, sans rien de ce qui fait votre humanité. J'essaie d'adoucir ma gueule de bagnard, je ponce les aspérités, je lime mes dents de hyène, mais le charognard trépigne en moi » ) peut apprendre à accepter de recevoir la beauté, la générosité et la bonté, comment se relever d'une enfance meurtrie sans sombrer dans la violence.

Sur ce même thème, j'ai nettement préféré le traitement de Colson Whitehead, dans son époustouflant Nickel Boys, plus subtil mais tout aussi impactant que l'enragé de Chalandon. Par contre, l'ultime lettre, à la fois inattendue et logique, absolument bouleversante, conclut merveilleusement le roman, donnant un sens à tout ce qui a précédé, même ce que j'ai moins aimé. Cette lettre, c'était vraiment la meilleure façon de conclure ce roman écrit avec les tripes et le coeur.
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