Il y a quelques années, une anecdote (qui s'est avérée par la suite inventée) a fait dire à
Winston Churchill, à qui on proposait de couper dans le budget des arts pour l'effort de guerre, la réplique suivante: "alors pourquoi nous battons-nous?" Toute inventée qu'elle soit, cette réponse m'a trotté dans la tête lors de ma lecture de ce livre.
Le projet de Samuel est à la fois simple et insensé: monter une pièce,
Antigone de
Jean Anouilh, dans un Beyrouth en guerre, où plusieurs communautés s'affrontent. Malade, il confie à George (le narrateur) la responsabilité de mener à bien son projet.
Je n'ai pas vraiment aimé le premier tiers du livre: j'ai trouvé l'histoire assez lente à se mettre en place et surtout, le narrateur assez antipathique, violent et donneur de leçon. Je n'aimais pas ses choix ni ses actes. Et puis il y a un tournant, l'arrivée au Liban a rendu le livre soudain beaucoup plus passionnant: à partir de là, j'étais captivée.
On peut bien sûr se dire: une pièce de
théâtre en pleine guerre, c'est quoi cette idée absurde? Ils ont bien mieux à faire que d'organiser une pièce!? Et pourtant, je repensais souvent à la fausse citation de
Churchill. Un monde sans art vaut-il la peine? L'art n'est-il pas là pour nous sauver quand l'horreur a pris toute la place?
Ce livre bouscule, fait trembler, hurle l'horreur de la guerre. Certaines scènes sont effroyables et contées de manière crue. le contraste est immense entre la violence de ce conflit insensé et la beauté des scènes de réunion et de répétitions des acteurs, où l'art ouvre toutes les portes. On s'attache aux personnages.
La fin est cruelle et m'a aussi laissée un peu perplexe.
George a rejoint sa famille en France, mais traumatisé par la guerre, il développe des symptômes psychotiques et ne parvient plus à profiter de la vie. Il revient à Beyrouth, se heurtant à l'incompréhension totale de ceux qui ne peuvent pas en sortir. Ce qui m'a contrarié jusqu'au bout chez ce personnage, c'est son égoïsme: il trouve un prétexte pour justifier son retour, met en danger Mawan en lui demandant de le conduire vers Tripoli... Cela ressemble à des caprices qui n'ont aucun sens, et qui finiront forcément mal.
C'est une lecture qui m'a marquée et que j'ai beaucoup aimée. Je pense qu'il est préférable d'avoir lu
Antigone de
Jean Anouilh avant d'entamer celui-ci, la lecture prendra davantage de sens. En ce qui me concerne, j'ai découvert la pièce de
théâtre en classe de 3e, je l'avais alors adorée.
Sorj Chalandon lui rend ici un très émouvant et brillant hommage.