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Critique de Polars_urbains


Lors du festival Sons d'hiver de février 2022, le contrebassiste et compositeur américain de jazz William Parker (héritier de l'AACM*, fan de Curtis Mayfield) rendait hommage dans sa fresque musicale Trail of Tears (La piste des larmes) à la délocalisation de 100 000 Cherokees lors de la conquête des territoires américains. Au même moment, de l'autre côté de l'Atlantique, le romancier antillais Patrick Chamoiseau (négritude, mémoire caribéenne) quittait la Guyane pour la Martinique après avoir participé aux recherches pour retrouver un bateau négrier disparu au large de la Guyane en 1738 avec sa « cargaison », abandonnée par le capitaine et l'équipage avant qu'ils il ne quittent courageusement le navire ! Dans les premiers échanges de leur « conversation épistolaire », Parker et Chamoiseau reviennent sur ces éléments dramatiques, l'expropriation des Indiens pour le premier, la traite et l'esclavage pour le second, ces gouffres dans lequel le vieux monde s'est englouti. Ils se livrent ainsi à une réflexion commune sur l'identité et la mémoire et sur ce qu'est la civilisation ou plutôt sur ce qu'elle n'est pas. Face à une « déshumanisation de l'humain », Chamoiseau propose de tirer l'enseignement de la compassion, la « faculté de vivre en effusion avec l'autre ».
Ainsi les deux correspondants conversent à distance sur leur manière d'être au monde, dans un monde où ils peinent à trouver des traces d'humanité et s'accordent pour dire que la créativité, qu'elle soit musicale ou poétique, est essentielle pour l'être humain. Car quand elle disparait, c'est une « adaptation mortifère à l'ordre dominant, aux forces dominantes » qui s'installe et qui règne.
Au fil des pages les thèmes abordés varient, mais à la conversation se substitue des monologues que chaque protagoniste lit certainement de manière empathique, mais auxquels ils ne répondent pas explicitement, si ce n'est par des manifestations d'affection. Parker livre ce qui le touche plus intimement, la mort de son frère d'une overdose, le temps qui passe et le corps qui vieillit. Chamoiseau, un des plus grands écrivains de langue française aujourd'hui, rend hommage à ceux qui l'ont influencé et qui continuent à le guider, Aimé Césaire, Edouard Glissant, le poète du Tout-Monde.
Cette Conversation épistolaire est une réflexion sur le destin de l'homme et sur ce qu'est notre humanité. C'est aussi un plaidoyer pour l'amour de l'autre. D'où la distinction que fait Chamoiseau entre les « révolutionnaires » qui veulent concrètement changer les choses et les « êtres spirituels » qui, par « l'exemple même de leur élévation humaine », nous donnent à imaginer un autre monde.
Frère, quand tu seras sur scène et que tu joueras, n'oublie pas que les sons deviennent des mots, tout comme les mots deviennent des sons ; et que, soulevés par la pleine résonance du coeur, une musique est un texte, un concert se déploie en un vaste poème forgé dans ce langage que nous portons en nous, en bien plus grand que nous, et qui sait mieux que nous ce qu'il y a à dire. Lettre de P. Chamoiseau du 17.02.2022. (2024 : 121)
*Association for the Advancement of Creative Musicians fondée en 1956 à Chicago dont l'ambition était de créer de la grande musique noire (Great Black Music).

Merci à Mazeto/Square à Babelio et à Masse critique pour l'envoi de ce livre.
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