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Critique de florigny


Sophie Chauveau s'appuie sur son histoire personnelle marquée par l'inceste, pour établir un état des lieux de l'un des secrets de famille les mieux protégés et les moins punis de France. Il faut immédiatement préciser que la Fabrique des pervers n'est pas une chronique de l'horreur ou un recueil des atrocités susceptibles d'être infligées à des enfants, l'auteure exprimant avec force sa défiance totale et définitive envers toute description technique des viols, en raison de l'usage qui peut en être fait, possiblement par des supports pornographiques ou par des voyeurs, toujours en embuscade. Elle dit également qu'en l'absence d'un mot parfaitement approprié pour les nommer – car soit on insulte soit on absout -, elle utilise les termes génériques d'agresseurs et agressions sexuelles.


Compte tenu de l'énormité du nombre d'incestueux – hommes et femmes - connus dans sa famille, elle mène avec l'aide d'une cousine elle aussi violentée, une enquête généalogique pour identifier le fondateur d'une dynastie qui engendre des pervers comme d'autres fabriquent des yeux bleus, et ce faisant, ne lève pas un ou deux lièvres, mais un terrier surpeuplé. Sophie Chauveau remonte au siège de Paris en 1870 pour débusquer le premier de cette lignée d'agresseurs et raconte comment il a fait fortune en vendant à prix d'or aux crève-la-faim, des morceaux des plus beaux et rares animaux de la création, girafes, hippopotames ou éléphant, volés au Jardin des Plantes puis dépecés en steaks ou ragoûts. Sa famille franchit alors plusieurs échelons sur l'escabeau social pour accéder à la bourgeoisie boulevardière bien qu'ayant encore de la terre collée à ses semelles. Ce rappel historique n'explique bien évidemment pas les maltraitances, instrumentalisations, et collectivisation des femmes et enfants initiées par ce précurseur, et depuis, érigées en art de vivre endogamique, mais plante le décor et dit une famille bien sous tous rapports, préoccupée par le qu'en-dira-t-on, les apparences, la morale intransigeante, la bigoterie omniprésente, l'éducation rigide, principes inaliénables. Il est important de signaler le contexte.


A partir de son histoire singulière, Sophie Chauveau explique comment une atmosphère se met en place, validée par tous les membres, amis ou thuriféraires de la famille. L'ambiance particulière propice à l'inceste est secrétée par un langage grivois, des commentaires obscènes, des plaisanteries ambiguës justifiés par la liberté, la libération des moeurs, l'interdiction d'interdire, le droit au plaisir, et même le retour à une vie simple et naturelle avec le naturisme. Si les nuances sont infinies, des constantes existent : des moeurs peu rigoureuses voire des manières libertaires avant-gardistes, l'incommensurable amour porté aux enfants bramé à tous vents.. L'auteure aborde à la fois avec pudeur et détermination les traumatismes, les conséquences, l'amnésie, la difficulté à parler pour ceux ou celles qui sont considérés comme des affabulateurs mythomanes - « S'il s'était passé quoi que ce soit, on t'aurait protégée, soutenue, défendue... […] … Tu ferais mieux d'oublier tout ça et de t'occuper d'autre chose plutôt que de remuer cette vieille affaire » -, les attentes des victimes toujours dévaluées. L'auteure pose d'autres questions qui bousculent la paix des familles : Qu'est-ce qui peut bien indiquer à un adulte que, de cet enfant-là, il peut disposer à sa guise, pour son bon plaisir ? Comment voient-ils qu'elle a déjà été profanée et qu'elle est disponible ? Qui sont ces mères qui donnent à leurs enfants des pères abuseurs, et ne les font pas saisir par la police, par la justice, ni ne changent les serrures de leur maison dès l'instant qu'elles savent ? Complices, forcément complices. Pourquoi la loi du silence couvre-t-elle cet archaïque patriarcat où l'on se partage les enfants et femmes comme du butin, où l'on sait d'instinct celles et ceux qu'on peut sacrifier ? Pourquoi le terme « inceste » a-t-il été retiré du code pénal durant des décennies avant d'y faire un retour en 2015 ? Pourquoi tant de plaintes sont-elles classées sans suite ? Pourquoi tant de pourquoi ?


« On n'est pas obligé d'aimer sa famille si elle n'est pas aimable. On appartient au monde qu'on fait, pas à celui d'où l'on vient » dit Sophie Chauveau. Je suis d'accord.
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