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Critique de gerardmuller


Le rêve Botticelli / Sophie Chauveau
Cette biographie romancée de Sandro Botticelli (1445-1510), de son vrai nom Alessandro Filipepi, commence par une scène d'amour clandestine assez torride entre le peintre alors âgé de 27 ans et Pipo Lippi, 15 ans, le fils de son défunt maître, Fra Filippo Lippi, le plus grand peintre de son temps, le plus novateur d'une époque où l'audace n'était pourtant pas rare. Nous sommes en 1473 sous le règne de Laurent le Magnifique en la belle république de Florence et le nom de Botticelli résonne déjà de plus en plus souvent sous les voûtes des plus beaux monuments de la ville. Les commandes se succèdent et la clientèle à l'atelier qui prospère ne cesse de se diversifier. Il faut dire que des deux garçons, le petit Pipo témoigne en matière de culot et d'érotisme d'une précocité qui eût comblé son père. Pour lui, la sexualité est une occupation à plein temps. La clandestinité est requise pour ces ébats, car à l'époque l'homosexualité est prohibée et sévèrement réprimée, d'abord par une amende conséquente, et en cas de récidive par la mort. C'est ce que dit la loi, et l'Église renchérit en traitant les homosexuels de pestiférés. Mais avec Laurent de Médicis, la tolérance est à son maximum pour les artistes. le comportement de Sandro a longtemps fourni matière à quolibets, mais la gloire est arrivée et l'a sauvé.
En ce XVe siècle, le métier de peintre est intimement lié à celui des artisans. Leurs rapports sont constants dans un travail de création.
Au sein de sa famille, le jeune Sandro n'est pas toujours à l'aise : en effet, beaucoup de monde va et vient au sein de cette tribu méridionale qui le prend pour un hurluberlu, et travailler n'est pas facile. C'est dans la famille Lippi, sa « vraie » famille, qu'il trouve la sérénité pour peindre ; parrain de la petite Sandra, 12 ans, soeur de Pipo, il voue un véritable culte ambigu à Lucrezia, la mère de Pipo, laquelle le lui rend bien. Sandro a peu de goût pour les mondanités et ne cherche pas à séduire. Il est un jeune artiste un peu désespéré, certes aimé mais souvent triste.
La famille Vespucci fait partie des commensaux avec le chef de famille Giorgio âgé de 30 ans, non marié et sans enfant, mais avec des neveux très présents en la personne de Mario mari de la belle Simonetta et d'Amérigo qui sera célèbre plus tard pour ses voyages au Nouveau Monde auquel il donnera son nom. La belle Simonetta qui a pour amant Julien de Médicis, le frère de Laurent, est remarquée par Sandro qui en fait son modèle de prédilection. Pour lui dont elle est amoureuse, elle pose entièrement nue, mais le peintre retouche son oeuvre en dissimulant ce qu'il ne veut pas que l'on voie. le sentiment trouble de Sandro est étrange et la mort brutale de Simonetta le plongera dans une douleur irrépressible.
Parmi les commensaux figure aussi un certain Léonard de Vinci vers qui bientôt le jeune Pipo se tournera, trop fou, trop volage, trop épagneul sauvage, rompant alors avec Sandro.
En 1481, le pape Sixte IV fait appel à Botticelli et aux autres artistes célèbres pour décorer la Chapelle Sixtine. Ghirlandaio, le Pérugin, Rosselli et Signorelli font partie de l'équipe qui est complété par quelques jeunes aides. Se joint à eux Diamante, ami des Lippi, qui depuis la mort du patriarche, vit au sein de cette famille. Ainsi les meilleurs peintres de l'époque se sont adoubés les uns les autres pour offrir un chef d'oeuvre absolu. Botticelli estime que cette fresque, c'est un moment passionnel dans une matière solide, une forme de méditation désespérée.
Puis c'est la réalisation de la Primavera (le Printemps) avec Sandra Lippi, qu'enfin Sandro daigne immortaliser, parmi les modèles et tout Florence découvre le somptueux visage de celle qui adore son peintre et l'espère vainement comme amant, une jeune femme au sourire si énigmatique. Lorenzo le frère de Laurent le Magnifique est fol amoureux d'elle ; fraichement marié à Sémiramide, il court derrière elle, lui que convoite secrètement Sandro. Bien des intrigues nourrissent les passions de ce trio.
Lorenzo fou d'amour pour Sandra commande le tableau qui marquera à jamais la vie de Sandro Botticelli : La Naissance de Vénus, fresque pour laquelle Sandra pose entièrement nue et séduit le peintre qui va se prendre au jeu du corps de femme nue qu'il tient sous son pinceau et finalement succomber au charme de son modèle.
Et puis Sandro va croiser la route de Pic de la Mirandole pour le meilleur, et celle de Savonarole le prêcheur de l'apocalypse, dictateur de la morale qui succède à la trique fiscale des Médicis, pour le pire. Rien n'est épargné ni aux artistes qui sont victimes d'attentats et d'agressions physiques d'une extrême violence de la part des fanatiques à la solde de Savonarole, ni aux Florentins dans leur ensemble : des hordes d'enfants pillent et frappent, saccagent les ateliers des peintres et brûlent les oeuvres. Après l'inquisiteur Savonarole, c'est la peste qui ravage la ville : les descriptions de Sophie Chauveau ont de quoi faire dresser les cheveux sur la tête : tant de cadavres sont jetés dans l'Arno que le cours du fleuve est bloqué aux arches des ponts. le supplice réservé à Savonarole mettra fin aux inquisitions.
Les années passent et Sandro aimerait bien repeindre le visage de Sandra car il la revoit, et avec un enfant qui est son enfant à lui ; il est bouleversé. Il revoit aussi Léonard de Vinci qu'il admire et réciproquement, et avec qui il se lie. Un certain Francesco Giocondo demande à Sandro de faire le portrait de sa femme Lisa. Mais Sandro, fatigué, refuse et c'est Léonard qui se met au travail pour des années et réaliser le portrait le plus célèbre du monde jusqu'à nos jours. Botticelli est époustouflé et abasourdi au fil des jours lors de ses visites à Léonard alors qu'il peint : il n'imaginait pas qu'il fût possible de créer une telle oeuvre qui touche à la perfection. L'huile et le sfumato, le modelé sans ligne, toutes ces techniques dont Léonard use avec joie, Botticelli les a toujours refusées et il se voit aujourd'hui démodé. Michel-Ange, cependant, qui fait bande à part dans le concert des peintres de l'époque, reviendra au linéaire de Botticelli.
Après la mort de Pipo, le frère de Sandra, à l'âge de 47 ans, Sandro est effondré. Il se réfugie dans les bras de Sandra et de son fils Giacomo pour s'installer au domaine de Carpe Diem, loin de Florence, chez Lorenzo, et avec ses chats qui ne l'ont jamais quitté. Sandro ne peint plus : il regarde pousser les oliviers…dans le silence et vit pour une fois dans sa vie le moment présent, intensément auprès de l'amour de Sandra.
le dernier chapitre de ce merveilleux livre est magnifique et je ne peux résister au désir d'en citer un extrait :
« le silence dans les oliviers ressemble à une musique qui s'inscrit sur une ligne mélodieuse. Entouré de lignes, Botticelli est pour l'éternité ce peintre assez fou pour s'envelopper de silence et finir sa vie dans la dignité d'un fragile bonheur. Les ceps de vignes, les longs cyprès étirés, sertissent son univers de lignes épaisses ou fines, mais toutes tracées par un pinceau trempé dans l'absolu. »
Un ouvrage de Sophie Chauveau à ne manquer sous aucun prétexte.



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