J’ai annulé mes impératifs pour sauter dans un train, comme on rejoint son destin, tout le reste devenu caduc. Je suis dans le train matriciel, je me liquéfie. Je n’ai plus d’ossature dans ces moments là.
Lorsqu'un homme me disait qu'il m'aimait, je souffrais en silence et les joues mouillées, je me demandais comment on pouvait m'aimer sans me faire mal. Je découvrais que l'on pouvait me protéger et cette reconnaissance me faisait me décomposer, parce qu'il était inédit de m'aimer sans faire de moi une victime.
Il est curieux ce mot « milieu », il dit tout l’en dedans d’une situation. Le milieu, entre quatre murs qu’on ne choisit pas. Le milieu comme la place que l’on voudrait entre ses parents dans le lit, toute la nuit, toute la vie, peut-être. On la veut cette place, rassurante et chaude, contre les portes fermées et les nuits enfoncées, pour la rejeter plus tard si « le milieu » n’est pas satisfaisant, si la culture n’est pas satisfaisante, si les livres manquent, si les coudes sont sur la table, si les bouches sont ouvertes pendant que l’on mange. Cette place.
Je n'avais pas du tout l'âge d'être accompagnée par mon père en train. Je n'avais pas du tout l'âge de me poser ces questions-là. A vingt-huit ans, on fabrique une famille, on sait d'où l'on vient ou à peu près. On a fait son analyse, on est descendu en soi et on se tient dans le monde en adulte. C'est ce que je croyais. Le jour du canapé, mon père avait décidé que s'effondreraient mes certitudes, mes principales attaches. J'avais alors accusé le coup en me réveillant violemment d'un monde où je n'étais plus.
Je ne vais pas sortir de cette histoire vivante si je suis seule face à elle. Il faut que je m’entoure d’alliés de raison, tous ceux que j’aurais dû voir il y a dix ans pour bâtir une muraille théorique.