Sur la Révolution, ne faut-il pas garder le souvenir d'une époque où des hommes et des femmes, prenant leur destin en main, ont décidé de bâtir quelque chose à leur image et qui paraissait, dans le même temps, au-dessus d'eux-mêmes ? Avec une telle ambition humaine, trop humaine, il est impossible de ne pas se diviser, s'animer de colère.
L'élection a fait Robespierre, l'insurrection fera Danton.
Danton et Robespierre, ce n'est pas l'histoire d'une amitié s'étant brisée sur le récif de la Révolution. C'est au contraire la Révolution elle-même qui a enfanté cette amitié ; elle n'en est donc pas réellement une, sinon au milieu du combat. Ils sont frères d'armes, et non pas frères d'âmes. Et la Révolution qui les a réunis peut, à n'importe quel moment, les désunir.
Difficile d'imaginer Danton à l'aise sur ce terrain ultra-moralisateur qui ignore tout le sensualisme dont son existence est imprégnée. Danton aurait d'ailleurs qualifié le corps de Robespierre, parlant de lui comme d'un eunuque. Le comédien Talma, ami de Danton, le dit ouvertement dans ses Mémoires : alors que Danton est en prison, quelqu'un lui demande ce qu'il adviendra de la République. Ce dernier aurait alors répondu : « Elle marcherait encore si je pouvais laisser mes jambes à Couthon et mes... à Robespierre. » On fait plus gracieux, il est vrai, mais au moins ça a le mérite d'être assez explicite.
A deux siècles de distance, il est sans doute un peu facile de jeter la pierre sur les hommes de la dictature de salut public ayant gouverné la France au milieu des plus grandes difficultés, effrayés eux-mêmes de se voir condamnés à mort s'ils perdaient la guerre ;
Faire front ensemble contre un ennemi commun est plus aisé que de s'unir autour de valeurs communes.
Robespierre n’est clairement pas un coureur de jupons, et encore moins
un fiancé transi d’amour.
C’est bien une espèce de chasteté qui le caractérise le mieux. Les leçons et
méthodes des jésuites, encore pratiquées partiellement à Louis-le-Grand dans les années 1770, auraient-elles façonné ce corps d’austérité ? Dans cet univers hyper-catholique des collèges royaux, le corps, c’est le sale, l’affreux, le péché de la perversion. L’homme vertueux, lui, se tient à distance de la satisfaction de ces plaisirs charnels, physiques, coupables. La procréation seule impose le rapport sexuel, non le plaisir. Être chaste, c’est alors rester pur.
Là aussi Rousseau s’impose comme son maître à penser. Dans Les
Confessions, parues successivement en 1782 pour la première partie,
puis en 1789 pour la seconde, le philosophe genevois dit tout le mal qu’il
pense des débauchés qui s’adonnent aux plaisirs des sens, exécrant les
filles publiques et allant même jusqu’à comparer les ébats des hommes
aux accouplements des chiens. Cette concupiscence, s’emparant de la civilisation, digne de la bestialité la plus abjecte, ne lui inspire que du dédain
et même de l’« effroi ». Même prise de distance avec la luxure, dans La
Nouvelle Héloïse, ce best-seller du XVIIIe siècle.
Robespierre fait sienne cette critique de la perversion humaine par la
chair. Alors que le marquis de Sade compose sa vaste fresque sur les vices
afin de faire le procès des moeurs de l’Ancien Régime, les idéalistes tels que
Robespierre aspirent à une société régénérée où le rapport au corps serait
révolutionné entièrement. En un sens, il se considère comme un précurseur
et il s’applique d’abord à lui-même les codes de la purification avant d’exiger
des autres pareil attachement à la vertu, passant ainsi d’une exigence individuelle à une ambition collective. À son plus grand dam, Danton n’y verra qu’un sacerdoce de plus.
Il a oublié que la Révolution manie ses hommes plus que ceux-là ne la dirigent.
La royale chance avait de toute façon déjà tourné quand le maître de poste à Sainte-Menehould, le citoyen Drouet, reconnut le profil du roi sur un louis d'or, justifiant plus tard ce bon mot de Napoléon adressé à celui qui lui avait ouvert la voie du trône : "Monsieur Drouet, vous avez renversé le monde !"
Quelques années à peine après le scandale de la première de Figaro de Beaumarchais, qui fut en fait un triomphe, arrive sur les planches une autre pièce d'inspiration politique : Charles IX ou l'Ecole des rois, de Marie-Joseph Chénier. Ce dernier livre une "tragédie patriotique" dans laquelle l'Eglise et la monarchie sont fortement mises en cause dans le massacre de la nuit de la Saint-Barthélemy, le peuple parisien se trouvant dédouané de toute responsabilité dans cette tuerie. Royalistes, aristocrates, curés sont outrés par ce qu'ls qualifient de manipulation de l'histoire à des fins purement politiques. Mais pour Chénier, le théâtre a une vocation pédagogique et même civique...