AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de DelphineRngt


Vous le savez, après avoir envisagé mon avenir dans la distribution de crème glacée puis dans l'élevage d'homo sapiens à poil court (aussi nommés "élèves"), j'ai décidé de vivre la grande aventure de la réorientation. Pensant quitter le purgatoire pour enfin accéder au nirvana professionnel, je n'aurais jamais pensé atterrir dans un endroit qui ferait pâlir d'horreur Sodome et Gomorrhe, tant la perversion est y ancré. Aujourd'hui, petite immersion dans le terrible milieu de l'Édition grâce à l'ouvrage de Chantal Chawaf, Délivrance brisée.

Bien que, dans l'idéal intellectuel, le milieu de l'édition se doit d'être un Eden de culture éloigné des basses considérations du marché, celui qui parvient encore à croire sincèrement qu'il n'est pas un commerce comme un autre s'illusionne quelque peu. Dans l'imaginaire collectif, l'éditeur, roi en son pays, dirige despotiquement ses auteurs pour gagner consommateurs et chiffre d'affaire, faisant fi des exigences d'une Littérature de qualité. Malheureusement, les récents succès d'ouvrages comme Fifty shades of Grey, en plus de perturber le repos éternel du Marquis de Sade, ne semble pas démentir ce fait. Les écrivains de talent, artistes maudits par excellence, désarmés face à ce monstre éditorial aux dents longue, ne peuvent que plier ou laisser pourrir son manuscrit, se retrouvant donc promis, quelque soit l'option choisie, à une déchéance irrémédiable. Lorsque j'ai lu le descriptif du roman de Chantal Chawaf, je m'attendais à voir reproduite cette fresque quelque peu manichéenne du monde de l'édition:

"Par fidélité à son amie Irène, écrivaine oubliée qui vient de mettre fin à ses jours, Éliane, correctrice dans une maison d'édition parisienne, propose bénévolement ses services de nègre à une richissime Américaine. Chaque jour, elle se rend docilement dans la cage dorée de Virginia. Prise au piège dans les serres de l'Américaine et épuisée par le travail, la correctrice ne renonce pourtant pas, au cours de ces neuf mois, à tenir son engagement. Malgré leurs différences, les deux femmes sont unies par un désir de création plus fort que tout. Virginia, entre voyages, cocktails et séances de travail avec Éliane, dilapide des fortunes pour régaler les journalistes et les éditeurs, convaincue que c'est le seul moyen d'arriver à ses fins. Chantal Chawaf brosse, avec une sensibilité pénétrante, un portrait à la fois subtil et décapant de l'édition et des médias en pleine mutation."

Mais là où Beigbeder avait tiré les grosses cordes de l'exagération et du comique pour sous-entendre une réalité de l'édition, Chantal Chawaf a préféré utiliser une toute autre subtilité pour brosser la peinture de ce milieu. Par le regard d'Éliane, nègre grimée sous les traits de traductrice, plus qu'une critique du système éditorial, c'est les relations complexes entre deux femmes que presque tout oppose qui nous sont données à lire. Créature d'une sensibilité exacerbée qui tour à tour m'a agacée et attendrie, elle parvient, au fil des pages, à donner une poésie que je ne pourrais nier à l'histoire qu'elle raconte. Des séances de corrections en compagnie de Virginia aux soirées mondaines que cette dernière multiplie, suivant le fil d'une décrépitude que l'on pressent dès le début, j'ai été ballottée entre les portraits aigres-doux des différents personnages et les étranges moments de soumise complicité des deux femmes.

Par son roman, Chatal Chawaf fait preuve d'une qualité d'écriture sans conteste. Mais sa plus grande réussite restera selon moi le personnage de Virginia. Fac-similé imparfait d'un Gatsby le Magnifique, l'auteure américaine échouée en France impressionne par sa profondeur. Cette femme horripilante et magnifique est, à mon sens, dans l'erreur tout au long du roman et lire son histoire, c'est être témoin d'une déchéance dont elle est l'actrice principale. Les codes de la publication, imposés par l'éditeur, sont effectivement un frein à l'entreprise créatrice d'Éliane et de Virginia mais la question de l'écriture va bien au delà de cela avec Délivrance brisée. Derrière ce titre de roman digne des meilleurs romans à l'eau de rose, se cache l'histoire de deux enfants voulant jouer à un jeu d'adulte dont ils pensent maîtriser les règles. La cage dorée éditoriale dans laquelle s'enferment les deux protagonistes a été construite par celles-là mêmes, rendant le récit encore plus amer et appréciable.

Avec Délivrance brisée, nous comprenons que le monde de l'édition contemporaine est autant fait d'éditeur que d'auteur. L'ironie de l'histoire de cette écrivaine, aléatoirement candide et cynique, pestant contre un système qui ne laisse pas de place à la véritable créativité mais auquel elle participe avec un sourire non feint, peut certes très vite lasser le lecteur. Pourtant, ce roman reste d'une qualité indéniable pour qui veut aller au delà des clichés éditoriaux.



Je tenais pour finir à remercier Babelio qui dans le cadre de sa Masse Critique m'a fait parvenir ce roman. Pour ceux qui ne connaissent pas encore (honte à vous!) ce réseau social de lecteurs, je vous invite à rapidement vous y rendre et à participer à cette belle aventure de partage. Car même si Werber disait que «Le monde se divise en deux catégories de gens : ceux qui lisent des livres et ceux qui écoutent ceux qui ont lu des livres», ce genre d'initiative tend à le contredire.

Et toc, Werber!
Lien : http://lamediathequedebabel...
Commenter  J’apprécie          00







{* *}