Tu te souviens, après Pearl Harbor, cette impression que tout le monde aux Etats-Unis observait nos moindres faits et gestes ? Quand on devait se montrer extrêmement prudents pour qu'ils n'aient aucune raison de penser qu'il nous restait un quelconque lien avec le Japon ? Parce qu'au moindre dérapage, ça ne voulait pas juste dire qu'on était un non-Américain, mais que tous les autres — famille, amis, vraiment tout le monde — étaient eux aussi des non-Américains et n'avaient pas leur place ici ?
C’est comme ça, de nos jours. Tu hésites un instant et tes voisins se sont volatilisés. Tu regardes ailleurs et tes amis t’ont été arrachés. Tu clignes des yeux, et c’est toi qui as disparu.
Deux garçons qui s'aiment, et l'un d'eux part à la guerre.
On est là, debout au coin d'une rue tandis que tout notre monde s'effondre autour de nous.
Et on est en colère.
Et on sourit.
Et on reste entiers.
Les gens bien n'expulsent pas d'autres gens bien, donc si on est des gens bien, ça veut dire qu'eux n'en sont pas. (Il écarte les bras.) Tu vas leur provoquer une crise existentielle, M'man ! Tu sais que les Blancs ne peuvent être que des gens bien, voyons !
C’est arrivé. Ça nous est arrivé. C’est arrivé à des adolescents comme elle. Ça peut se reproduire un jour.
Yum-yum a toujours été une jolie fille, mais aujourd’hui, elle est belle. Belle et forte aussi, assise devant ce piano avec ses doigts figés sur les touches comme si elle lui faisait ses adieux en silence.
Elle se met alors à jouer ; des notes violentes tout d’abord, qui ne tardent pas à s’adoucir. La musique est aussi lourde que la brume qui emplit les rues de San Francisco, lourde comme les pas de deux garçons qui rôdent dans la nuit en quête de choses à fracasser.
Elle monte, monte en puissance, s’assombrissant graduellement, avant de s’accélérer subitement ; alors les notes deviennent étincelles, elles mettent le feu autour d’elle, embrasent la rue tout entière. Elles sont des explosions. Les bâtiments s’effondrent un par un, leurs décombres semblables aux monts de bagages qui emplissent les trottoirs. Si elle le pouvait, je suis sûr que Yum-yum détruirait la ville entière avec sa musique.
Tu ne peux pas changer la situation avec tes poings