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Critique de AugustineBarthelemy


On change radicalement de registre avec ce petit livre d'historiettes biographiques, ou plutôt, nécrographiques. Car ce qui intéresse ici nos auteurs, c'est la mort. Terrible issue qui nous attend tous, me direz-vous. Mais ici, le but n'est pas d'en pleurer et de s'en attrister mais bien d'en rire, ou du moins, d'être frappé par l'ironie du sort, le pied de nez permanent du destin. En sachant que quelques uns des personnages que l'on nous présente ne sont restés célèbres que par l'incongruité de leur trépas, à qui ils doivent une fière chandelle puisqu'ils échappent ainsi à l'oubli de l'Histoire : qui se souvient en effet de Louis III et de son action politique ? Personne, à l'exception de Charlemagne et mise à part les historiens spécialistes de cette période, les rois carolingiens sont de tristes inconnus dans l'ensemble. Heureusement pour lui, Louis III aura la bonne idée de mourir en se prenant violemment le linteau d'une porte, alors qu'il poursuit à cheval une jeune femme qu'il a bien envie de trousser, même si la demoiselle n'est visiblement pas d'accord. Et paf ! le roi.

Il paraît que l'on meurt par là où l'on a péché, c'est pourquoi nos auteurs taxinomistes en diable ont décidé de chapitrer leurs anecdotes selon le type de morts : ceux qui n'ont pas survécu à leur gourmandise, ceux qui ont succombé à leur avarice, ceux qui ont payé cher leur curiosité ou encore ceux qui, trop sensibles, n'étaient pas taillés pour survivre dans ce monde bien trop cruel. Hommes politiques, scientifiques adulés, acteurs ou chanteurs de variétés, tout fait ventre pour nos auteurs : tant que c'est comique, tout est permis. Ce mélange hétéroclite, cet inventaire à la Prévert, est plaisant, mais sans plus. J'ai quelques doutes parfois sur la pertinence de certaines entrées : si effectivement le décès de Jack Daniel (fondateur de la marque du célèbre whisky) est ridicule – il meurt d'une septicémie après avoir donné un coup de pied sur son coffre-fort qui refusait de s'ouvrir, je ne vois pas en quoi la mort de Marie Curie ou Rosalind Franklin est stupide : deux femmes scientifiques, qui ont été victimes de leur découverte en faisant progresser la science (sans oublier que Rosalind Franklin, dont les recherches ont permis de découvrir la structure en double hélice de l'ADN s'est fait voler ses recherches et que le prix Nobel a été décerné à des voleurs tandis qu'elle a payé chèrement sa découverte – cancer des ovaires). de même, je ne crois pas que l'on puisse attribuer la crise cardiaque de Boris Vian à la mauvaise adaptation cinématographique de son livre – j'y vois là plutôt une fâcheuse coïncidence – ni ne pense qu'il soit particulièrement pertinent de voir un coup du sort dans la mort de Guillaume Seznec, renversé par une voiture.

Nos auteurs pensent aussi que ces décès, plus ou moins prématurés, auraient pu changer la face du monde s'ils avaient été évités. Je n'en suis pas aussi sûre qu'eux. Si effectivement, la mort du général Patton a peut-être permis d'éviter à terme un conflit ouvert avec l'URSS (ce monsieur était très anticommuniste, peut-être encore plus que McCarthy et était prêt à s'allier aux nazis restants pour manger du soviet) ou celle de Sanjurjo (général espagnol qui participa au coup d'État de 1936 et qui devait prendre la tête de la dictature. Son décès plaça finalement Franco sur le haut de la liste), le décès de Claude François ou du pape Étienne II (mort avant d'avoir pu exercer son pontificat) me laisse un peu plus circonspecte. Disons que la rêverie uchronique n'est pas le meilleur argument pour donner envie de feuilleter ce livre.

La tortue d'Eschyle et autres morts stupides de l'Histoire est un ouvrage sympathique mais anecdotique. Les petites biographies qui accompagnent le récit de la mort de nos personnages apportent un éclairage succinct sur leur vie et sont plutôt orientées pour démontrer le ridicule de leur mort. On sourit parfois, mais la plupart du temps, un sentiment mitigé envahit le lecteur circonspect : la drôlerie ou le ridicule de la situation sont plus ou moins appréciables. Si mourir de septicémie après avoir été mordu par un singe est peu courant, mourir dans un accident de voiture ne me semble pas suffisamment pertinent pour être inclus dans ces historiettes, même si les accidentés donnaient des conseils pour éviter d'être renversé par une voiture (c'est le cas de Pierre Curie, Roland Barthes ou Italo Svevo). Et certaines morts sont un peu sujettes à caution : surtout celles qui nous viennent de la période antique ou qui touchent à des textes bibliques ou hagiographiques : devait-on vraiment inclure la mort d'Holopherne dans le chapitre « Trop libineux » ou la mort de Saint Macaire (qui se punit d'avoir tué une puce en passant six mois dans le désert) dans celui des « Trop sensibles ». Des exemples à prendre avec des pincettes, donc. D'autant plus qu'eux-mêmes ont inclus un chapitre qui vise à démystifier certaines morts « trop belles pour être vraies » : pour le coup, l'exemple de l'homme politique Biaka Boda était particulièrement éclairant : sénateur de Côte d'Ivoire, militant pour l'indépendance de son pays, il disparut mystérieusement. le bruit courut qu'il fut victime d'une tribu anthropophage alors qu'il travaillait sur un rapport sur les besoins alimentaires de la population ivoirienne. Une bonne trace de l'esprit colonial français….

En conclusion, un livre d'amis avec lequel on passe un bon moment, avec des anecdotes plus ou moins loufoques, qui illustrent plus ou moins bien le sens inné de l'Histoire à être ironique.

Je remercie Babelio et les éditions Tallandier pour l'envoi de cet ouvrage.
Lien : https://enquetelitteraire.wo..
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