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Critique de Woland


Woland
26 septembre 2014
ISBN : 978-2262004569

Parmi les monarques français, et j'irai jusqu'à écrire parmi les particuliers, jamais personne n'a été traité par l'opinion publique comme le fut Louis, seizième du nom. de nos jours encore, cette opinion publique toute puissante - et de plus en plus puissante par la révolution pacifique du Net - remet Louis XVI, sa vie et son destin tragique en question en osant le camouflet ultime, cette humiliation que ne méritaient certainement pas plus l'homme que le monarque. On le compare en effet à un certain François Hollande, président de l'actuelle République française, lequel, depuis son élection, n'a cessé de rabaisser et d'humilier notre pays en s'abstenant soigneusement de prêter la moindre oreille aux besoins et aux volontés d'une nation déstabilisée, de plus en plus assommée par la précarité et le chômage, en quête désormais, le mouvement s'affirme, d'un retour à ses idéaux de toujours : liberté, souveraineté, culture et grandeur.

Bref : l'antithèse parfaite de Louis XVI.

Devant pareille insulte à la mémoire d'un roi qui ne souhaitait peut-être pas régner mais qui le fit avec honnêteté, s'inquiétant de ses peuples et de leur bien-être, bataillant tout seul (ou presque) pour des réformes fiscales d'une telle ampleur qu'elles ne pouvaient s'accomplir sans l'union des Trois Ordres, d'un roi qui connut en cette vie un véritable chemin de croix avant de périr, avec la dignité que l'on sait, sur un échafaud qui, la Malchance le poursuivant jusqu'à la dernière seconde, le décapita non pas à hauteur du cou mais au niveau de la mâchoire, il nous apparaît primordial de tenter de brosser un portrait plus exact, plus juste de celui que son entourage, la Cour de Versailles, les rivaux d'Orléans, les Révolutionnaires bien sûr mais aussi des historiens peu empressés et adeptes des idées reçues susceptibles de pouvoir renforcer la République encore toute jeune - ben oui, la IIIème République était encore très jeune et il lui fallait se construire sa légende, ses mythes - et enfin des pseudo-intellectuels qui, sans s'informer, sans réfléchir par eux-mêmes, se sont contentés de répéter ce que d'autres avaient dit, considéraient grosso modo comme un brave type, certes, mais dépourvu d'intelligence et de bon sens, plus occupé de serrurerie que de politique, asexué ou quasi, ce qui n'arrangeait pas son cas, cocu tant sur le plan saphique que sur le plan de l'hétérosexualité par une Marie-Antoinette elle aussi allègrement calomniée et critiquée à tout-va, bref, comme un pauvre imbécile indigne de porter le nom glorieux des Bourbons et qui a eu ce qu'il méritait en finissant guillotiné.

Eh ! bien, non ! Mesdemoiselles, Mesdames, Messieurs, Louis-Auguste de France, duc de Berry, puis Dauphin et enfin Roi de France sous le nom de Louis le Seizième, n'a rien à voir avec cette caricature que vous contemplez encore, en plein XXIème siècle, avec tant de commisération méprisante. Si Robespierre, le seul de nos politiques à ne pas avoir usurpé le surnom d'"Incorruptible" qu'on lui avait donné - au fait, il paraîtrait que Messieurs Juppé et Sarkozy, pour ne citer que ces deux-là, détestent l'avocat d'Arras - mérite bien, malgré ses excès, sa froideur et son jusqu'au-boutisme absolu, de se voir réhabilité, il en est de même pour celui dont il vota la mort, dit-on, avec fermeté mais à regrets.

Si brusquement, vous vous sentez un peu de suspicion envers les préjugés dont on vous a abreuvés, si mon discours vous pique un peu - et j'espère qu'il y réussira - plongez-vous dans la biographie magistrale que Jean-François Chiappe a consacrée, en trois volumes, à Louis XVI. Biographie, dis-je, et non hagiographie. Car l'homme et le monarque eurent, comme tout le monde - vous comme moi - leurs défauts et leurs faiblesses. de là à oser prétendre qu'il n'était que ça et qu'il ne s'est jamais préoccupé de son pays ni des souffrances de son peuple - ce peuple dont il refusa, jusqu'au bout, de faire couler le sang - il y un abysse. Oui, Louis XVI mérite bien mieux que ce que l'on a dit - et ce que l'on continue de dire - sur lui.

Second fils de Marie-Josèphe de Saxe et de Louis-Ferdinand, Dauphin de France et fils de Louis XV, Louis-Auguste n'était pas né pour régner. Avant lui venait Louis-Joseph, titré duc de Bourgogne par leur grand-père, un enfant brillant, intelligent, vif, extraverti, hautain, astucieux : un modèle et un futur grand roi, nul n'en doutait. D'ailleurs, tout le monde le pensait, tout le monde le disait et ses parents l'idolâtraient. Mais un jour, la tuberculose osseuse s'invite au chevet de l'enfant. Et le rêve prend fin. Louis-Joseph, si avide de faire rendre gorge à Frédéric de Prusse qui sévit encore à l'époque, comprend, lentement mais sûrement, qu'il ne règnera jamais. Il passe bientôt ses jours en fauteuil roulant, ses professeurs renoncent à poursuivre leurs cours (trop de fièvre, trop de faiblesse) et, en définitive, la Faculté, solennelle et résignée, recommande l'alitement.

Alors, pour "distraire" le petit moribond dont on ne sait exactement quel jour la Camarde passera prendre livraison, ses parents, son grand-père lui-même (un homme pourtant réputé pour son intelligence) lui donnent pour compagnon son cadet, le petit Berry. Et cet enfant, pourtant héritier en second du trône, est mis à "disposition" de son aîné. Ce qui signifie qu'il ne joue plus, qu'il bouge à peine, parle encore moins mais écoute, écoute son aîné - tant aimé, tant admiré - lui donner des ordres et lui prêcher la sagesse et la soumission. Et sans cesse, dans les yeux de ses parents, dans ceux des familiers, jusque dans ceux de "Papa-Roi" Louis XV, Louis-Auguste perçoit les comparaisons, toujours à son désavantage, lui, si pataud, si lourdaud, si timide, si posé en tous cas en apparence. Pire, sa sensibilité discerne la question : "Pourquoi Louis-Joseph doit-il nous quitter, lui, si vif, si intelligent, si prometteur alors que Dieu aurait mieux fait de nous prendre ce pauvre Louis-Auguste, mignon certes, mais visiblement si inférieur à son aîné par l'intelligence et les talents ? ..."

Imaginez tout cela dans la tête d'un enfant de six ans. Peu importe qu'il soit appelé à régner, peu importe le siècle où il est né. Prenez un enfant de cet âge, aujourd'hui, et faites-lui voir les mêmes horreurs dans les yeux de ceux qu'il aime le plus au monde. Imaginez. Imaginez les ravages. Quoi ? Vous fermez les yeux ? vous détournez la tête ? Mais Louis XVI, c'est ça. Aussi. Avant tout. Ah ! ça fait un peu bizarre, hein ?

C'est ainsi très tôt, trop tôt, dans son enfance que prend racine le terrible complexe d'infériorité que cultivera le futur Louis XVI, cherchant néanmoins parfois à s'en défendre mais finissant, en maintes occasions, par ployer sous le faix. Paradoxalement, c'est dans les derniers mois de sa vie, dans le Malheur, que le prince comprendra enfin ce qu'il est, ce qu'il a toujours été : un homme et un monarque dont la noblesse de coeur, le rare courage, le sens de l'Etat et le respect de la parole donnée à Dieu et à ses peuples lors du discours du Sacre ne dépareront certes pas parmi ses brillants aïeux.

Et cette période si douloureuse de son enfance ne constitue que l'un des obstacles qui s'opposeront au développement harmonieux de Louis XVI. Son illustre aïeul, Louis le Grand, avait, rappelons-le, bénéficié sans compter de l'amour de sa mère, Anne d'Autriche. Louis-Auguste, lui, n'aura pas cette chance car, au moment où la Dauphine semble s'apercevoir des qualités de son fils, elle décède brutalement. Et Dieu sait combien l'amour d'une mère est important pour un enfant ...

Ce premier tome de la biographie de Chiappe, étayé avec ferveur mais réalisme, rédigé en un style superbe, ouvre au lecteur curieux mais impartial les portes d'un caractère trop longtemps calomnié ou carrément dénié à celui qui le possédait. On ne s'y ennuie pas un seul instant et la fin du règne de Louis XV tout comme les débuts bien timides de son successeur nous sont restitués comme si nous y étions. A la fin de cette lecture, on n'a qu'une seule hâte : entamer le second tome.

... Et déjà - et c'est une belle victoire pour l'auteur - on se met à avoir une idée plus nette, plus précise et oh ! combien plus vivante de Louis XVI. C'est bien simple : on le sent là, à nos côtés, toujours un peu étonné que ces étranges descendants des Républicains de 1789 continuent à s'intéresser à lui et encore plus surpris - et vaguement ému - de constater qu'ils cherchent non pas à l'accabler mais à mieux le connaître. Louis XVI ne souhaitait rien tant que cela justement : que ses peuples le vissent tel qu'il était : avec quelques siècles de retard, Jean-François Chiappe a donné cette joie ultime à ses mânes. Grâces lui en soient rendues à jamais. ;o)
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