Tout bonheur commence par un petit déjeuner tranquille.
La fuite et la vie de réfugiés ont duré environ un an... jusqu'au jour d'embarquement sur un bateau de rapatriement. Quand j'y repense, j'imagine l'angoisse de mes parents, avec les petits enfants et un nourrisson... Mais moi, j'avais l'impression d'être en voyage, tous ensemble, en famille... Chaque jour, je me croyais en villégiature...
Voilà 60 ans que je fais du manga. C'est une petite maison d'éditions, à Kanda, qui m'a confié mon premier travail quand j'étais lycéen. Depuis, jours et nuits je reste assis à dessiner. Je dessine lentement. Enfin disons plutôt que je mets beaucoup de temps à me décider. Mon éditeur était sur mon dos. Le temps pressait toujours. Mais j'étais plutôt fragile physiquement. Sans une résistance mentale extraordinaire, je cédais vite. Je ne compte plus le nombre de "médicaments" que j'ai pris pour pouvoir respecter les délais. Et quand un mangaka expérimenté me le conseilla, je me suis piqué partout sur le corps. Bref, j'ai tenté tout ce qui n'était pas illégal.
En un seul hiver, celui qui suivit le 15 août, jour de la défaite du Japon, près de cent quatre-vingt à deux cent mille Japonais sont vraisemblablement morts, sur le chemin du retour. Quant à nous, les six Chiba, malgré la malnutrition sévère et au bout d'un an d'itinérance, l'été de l'année suivante, nous avons réussi à arriver au port de Huludao d'où partaient les bateaux de rapatriement. On peut parler d'un miracle.
Bon... c'est sans doute la dernière année de ma vie, aussi mouvementée. Désormais, j'aimerais pouvoir doucement descendre le rideau... pour pouvoir passer mes dernières années au calme.
Actuellement, partout en Europe... et dans le reste du monde... des millions de gens fuient des conflits. Il y a 71 ans... nous les Japonais, nous étions également cinq millions à quitter nos logements et à errer partout sur le continent chinois. C'était un miracle que nous ayons pu retourner au pays.
Les humains... meurent donc si facilement...
Dans le bateau de retour au pays, sans doute de part décompression, un nombre non négligeable de personnes ont rendu leur dernier soupir à bord.
[...]
Après la mort de quelques personnes, le bateau ralentissait pour pouvoir jeter les corps dans la mer, par l'arrière. Le bateau faisait doucement le tour des corps entrain de sombrer, avant de donner de grands coups de sirène en guise de rituel d'adieux.