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Critique de fuji



Le prologue de ce livre est juste splendide, lu trois fois, comme happée, il m'impose deux images qui ne vont plus me quitter : celle d'une petite fille qui échappe à la surveillance des adultes, elle marche pieds nus sur la sente du château qui mène au marais, elle s'enlise peu à peu et immédiatement une autre image surgie la petite fille est devenue adulte, elle est là devant un feu de cheminée, le regard vague tourné vers les flammes des bûches crépitantes qui ne la réchauffent pas…
C'est ainsi que le lecteur sait entrer dans une histoire qui n'est pas la sienne mais qui lui est offerte.
Une histoire en deux volets au sens de l'objet, deux battants, le premier s'ouvre sur la lumière, figure du père que l'auteur ressuscite des ténèbres, à la recherche de cet amour perdu et le second celui que l'on referme sur ses blessures, comme un animal blessé se cache pour mieux panser ses plaies ou mourir.
Autant dire que ce voyage littéraire a été riche en émotions, en tensions.
Christian Bobin a écrit : « Les livres sont des cloîtres de papier. »
En 1977 Sarah avait seulement dix-neuf petits mois quand son père Harry meurt d'une leucémie.
« La porte de ma chambre claqua brusquement. La nounou raconterait d'une voix blanche qu'elle avait regardé autour d'elle, mais qu'il n'y avait personne, hormis moi, assise au milieu de mes cubes, dans cette chambre dont la porte s'était entrouverte et que, malgré un splendide soleil ce jour-là, c'était probablement le vent. »
Harry n'avait que 34 ans.
Le lecteur découvrira sa vie et celle de sa famille, celle de médecins juifs de génération en génération, de l'Algérie à la France où ils bâtirent un empire de cliniques privées.
Harry fut le « vilain petit canard » de cette famille grandiose, naufrage qui s'avéra lors de la rencontre d'une femme à la beauté incendiaire.
Mais après la mort de son mari, celle-ci se fabrique des histoires pour survivre et engloutir son entourage.
« Il y avait, dans ses yeux, une douceur avec laquelle je ne me souviens pas qu'elle m'ait déjà regardée, une douceur après laquelle j'ai longtemps couru, jusqu'à ce que j'y substitue l'écriture. »
L'enfant est engloutie dans une histoire familiale qui la dépasse, où des choix sont faits sans tenir compte d'elle.
Le temps fait son oeuvre, il creuse profond l'âme de cette enfant.
Le second volet se clôt sur la bête blessée à mort. C'est une longue descente aux enfers pour celle qui est tombée dans l'urne des cendres de son père et qui les remue jusqu'au moment où les fantômes du passé ressurgissent. Elle a besoin de leur redonner vie, d'avoir le temps d'appréhender les morceaux du puzzle. Certains ne veulent pas faire leur deuil, ils ont besoin de laisser leurs fantômes vivre en eux.
« S'il est possible de faire comprendre aux personnes bien portantes ce qu'est une douleur physique, par exemple la douleur que l'on peut ressentir quand on a atrocement mal au ventre, il leur est plus difficile de se représenter ce qu'est l'autoaccusation mélancolique consécutive à un deuil. Dès que vous sortez de l'inconscience du sommeil, ce que fut votre existence s'étale devant vous comme une flaque de goudron, poisseuse, puante. Tout ce que vous avez fait. Tout ce que vous auriez dû faire. Tout ce que vous auriez pu dire à la personne disparue. »
Sarah Chiche, écrivain et psychanalyste a une expression que je trouve très belle : « La mélancolie est un passé qui ne passe pas. »
C'est une véritable plongée dans les affres d'une âme que l'auteur offre aux lecteurs. J'ai tendance à penser que c'est un cadeau quand l'écriture et la construction du livre font un tout qui, du très personnel, de l'intime fait ressortir l'universel.
Un livre d'une densité douloureuse, bouleversant et régénérant aussi.
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 02 octobre 2020.






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