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sur 358 notes

*** Rentrée littéraire #24 ***

J'ai rarement lu un démarrage de roman aussi bouleversant. Pas uniquement parce que le sujet l'est, le récit de l'agonie d'un homme mort à 34 ans d'une leucémie, le père de l'auteure qui avait quinze mois à l'époque. Mais parce que Sarah Chiche fait de cette chambre d'hôpital un véritable tableau, scrutant les réactions, caractérisant de façon précise chaque membre de la famille qui entoure le mourant avant même de faire plus amplement leur connaissance.

La première partie, portrait du père, est remarquable. En seulement 130 pages aux ellipses temporelles subtiles, l'auteure parvient à dire toute la complexité du tragique ordinaire de cette famille : l'enfance du père, la rivalité biblique avec le frère brillant, la révolte du fils non conforme aux attentes familiales, la passion foudroyante et transgressive pour la mère de l'auteure, tout en dressant un cadre profond entre exil suite à la guerre d'Algérie et description d'une bourgeoisie à la fortune érigée autour d'un empire de cliniques privées. C'est tour à tour féroce, tendre et drôle.

Après le portrait du père, la deuxième partie est celui de la fille, hantée par la mort du père, qui sombre dans une dépression mélancolique à la mort de sa grand-mère, au mitan de la vingtaine. Je ne suis généralement pas amatrice des autofictions égocentrées mais là, j'ai été emportée par la profondeur psychanalytique, au scalpel de l'effondrement de l'auteure. Elle creuse dans le trou de sa tombe pour dire le cheminement qui la conduira, non pas à faire son deuil, mais à vivre avec dans un monde où cohabite la douleur et la splendeur des mondes perdus.

«  Dès que vous sortez de l'inconscience du sommeil, ce que fut votre existence s'étale devant vous comme une flaque de goudron, poisseuse et puante.Tout ce que vous avez fait. Tout ce que vous auriez dû faire. Tout ce que vous auriez pu dire à la personne disparue. Tout ce que pourriez accomplir demain. Tout se recouvre d'une glu noire qui comprime la poitrine, naphte qui brûle l'âme d'un feu lourd, dévaste vos boyaux, et fait défiler à toute heure du jour et de la nuit en arrière de vos yeux toutes les fautes que vous avez commises, ou pu commettre, ou sans nul doute commises sans le savoir, mais peu importe, car elles collent toutes les unes aux autres en un écoulement affreux. »

Mais Sarah Chiche n'est pas qu'une psychanalyste ( c'est son métier ).  Ses mots crèvent les pages, Sarah Chiche est avant tout une écrivaine au style époustouflant. Elle ose écrire avec ardeur, sans retenue, des phrases lyriques à la noirceur oxymorique, elle se risque à l'emphase, s'autorise la poésie ( magnifique description d'Alger ). Chaque phrase va jusqu'à l'os du ressenti et fait rimer raison et folie, douleur et beauté. Tout cela avec une vraie musicalité qui fluctue selon les personnages. Lorsque j'ai refermé le livre, il était rempli de petits papiers indiquant des phrases ou passages remarqués.

Et jamais elle ne sombre dans un pathos qui pourrait placer le lecteur en voyeur, c'est la force de son écriture qui bouleverse, comme cette phrase qui m'a percutée «  personne ne m'avait jamais dit que j'aimais mon père » lorsque l'auteure découvre pour la première fois des videos d'elle bébé avec son père. La lumière apparait alors pour l'auteure et rassérène le lecteur qui a souffert avec elle. Magnifique roman à tout point de vue.

« Nous vivons, en permanence, dans et avec nos morts, dans le sombre rayonnement de nos mondes engloutis ; et c'est cela qui nous rend heureux. de Saturne, astre immobile, froid, très éloigné du Soleil, on dit que c'est la planète de l'automne et de la mélancolie. Mais Saturne est peut-être aussi l'autre nom du lieu de l'écriture – le seul lieu où je puisse habiter. C'est seulement quand j'écris que rien ne fait obstacle à mes pas dans le silence de l'atone et que je peux tout à la fois perdre mon père, attendre, comme autrefois, qu'il revienne, et, enfin le rejoindre. Et je ne connais pas de joie plus forte. »
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Sarah Chiche, rencontrée et appréciée aux Correspondances de Manosque 2020, m'avait bien intrigué avec la présentation de son dernier roman : Saturne.
Cette écrivaine est aussi psychologue clinicienne et psychanalyste. Cela se ressent tout au long de cette autofiction qui m'a parfois passionné mais aussi, par moments, lassé, pour finalement me laisser une impression générale très positive.
La narratrice dont l'identité n'est jamais révélée, débute par un prologue qui marque le lecteur : la mort de son père, à 34 ans, d'un cancer foudroyant alors que sa fille n'a que quinze mois. Ensuite, personne ne lui dit à cette fille que son père est mort et cette terrible absence mettra des années à être assumée, la plongeant au plus bas d'une détresse que tous les antidépresseurs, les neuroleptiques et autres thymorégulateurs ne parviennent pas à guérir.
Toute la première partie de ce roman permet de faire connaissance avec la famille d'Harry, le père de la narratrice, qui a eu une enfance heureuse, en Algérie. L'autrice en profite pour recadrer l'historique de la colonisation et le rôle essentiel joué par les médecins, à la fin du XIXe siècle pour éradiquer les épidémies, comme le paludisme qui décimait la population.
Joseph, son grand-père, a épousé Louise, femme très riche. Médecin, il achète une clinique à Alger et bâtit sa fortune là-bas. Lorsque la violence s'abat sur les Européens désirant rester, la famille quitte l'Algérie et Joseph, aidé par des banquiers, recommence, crée une clinique qui devient prospère en cinq ans, le gouvernement favorisant le privé au détriment de l'hôpital public.
Entre temps, Armand et Harry, les enfants de Joseph et Louise, ont été envoyés en pension à Verneuil-sur-Avre. Leurs parents rêvent d'en faire des médecins pour consolider et poursuivre l'empire paternel. Si Armand réussit, Harry stagne, vit la nuit, joue au casino et rencontre cette femme aussi merveilleuse qu'intrigante : Ève, qui donnera le jour à la narratrice.
La rencontre entre Harry et Ève est un véritable coup de foudre mais rien n'est simple dans cette famille qui vit maintenant dans un château entre Louviers et Évreux. Les crises sont fréquentes, allant jusqu'à l'exclusion de Ève. À partir de là, Harry est au plus mal mais cela ne l'empêche pas d'épouser cette femme, enceinte, en décembre 1975. Harry est donc mort quelques mois après. Trois ans passent et son père décède de chagrin ; nous voilà donc, vingt-cinq ans plus tard dans une chambre d'hôtel…
Débute alors la seconde partie, en mai 2002, quand l'oncle Armand apprend à sa nièce la mort de Louise, la grand-mère, dont l'héritage est à partager. C'est le moment d'une grande introspection, de délires psychologiques subis par cette jeune femme après tant de non-dits, de coups bas familiaux, de silences. Louise, cette grand-mère qu'elle n'a plus revu depuis longtemps, elle ne lui a pas dit adieu et ce n'est qu'un des nombreux traumatismes qu'elle doit évacuer. Louise a été tuée deux fois, comme lui dit froidement son oncle : « C'est ta mère et toi qui l'avez tuée. Ta mère par haine, et toi par désespoir. »
Alors, la petite-fille sombre, honteuse, seule, et livre des pages que j'ai trouvées difficiles, pénibles mais finalement très réalistes, justifiant ce titre : Saturne.
Plutôt que le Saturne de la mythologie qui dévorait ses fils, de peur qu'ils prennent sa place, Saturne est, pour Sarah Chiche, « l'autre nom du lieu de l'écriture – le seul lieu où je puisse habiter. »
Cette planète froide, assimilée à l'automne et à la mélancolie, a bien failli engloutir cette fille privée si tôt de son père et traumatisée par les problèmes familiaux. Par la magie d'images de films super 8, elle a pu sortir de ce néant où elle était engloutie et réaliser son rêve : écrire.
Ce roman en est la preuve la plus tangible.

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Issu d'une riche famille de médecins exilée en France après l'indépendance de l'Algérie, Harry meurt d'une leucémie à trente-quatre ans, laissant une petite fille de quinze mois et une épouse dont il était amoureux fou, mais que tout le clan familial déteste. Quelque trente ans plus tard, après une dépression extrême qui a failli lui coûter la vie, l'enfant devenue adulte entreprend l'écriture de ce roman, évoquant sa vie hantée par la perte et le deuil, mais aussi par l'ombre d'une passion qui a définitivement fait voler sa famille en éclats.


La traversée de ce roman largement autobiographique prend longtemps l'allure d'une plongée dans le puits sans fond de la dépression et de fa folie, alors que, pour la narratrice, seuls les mots haineux et la rancoeur des autres membres de la famille viennent rompre le silence et le non-dit qui enveloppent l'absence d'un père devenu tabou et légende noire. Comment se construire et vivre sur le gouffre d'une disparition qui a à jamais scellé amour et haine dans un écheveau aussi inextricable qu'inexplicable pour une enfant déchirée par les conflits entre les siens ?


Il lui faudra pour cela réussir à trouver sa place auprès de ce père mystérieux et objet de tous les antagonismes familiaux, par le biais de quelques images filmées au temps de ses tout premiers jours. Avant cela, au travers de minces mais puissantes évocations surgies du passé, entre les blancs et les ellipses, il nous faudra aussi comprendre l'histoire de cet homme, son amour pour son aîné et la haine renvoyée par ce dernier, leur rivalité autour d'une passion folle et transgressive pour une femme jugée infréquentable par les leurs, les déchirures cachées derrière l'aisance bourgeoise d'une famille faussement reconstruite sur l'inguérissable fêlure de l'exil et l'exécration rencontrée sur le sol de la métropole.


En reconstruisant l'histoire de ce père qu'elle n'a jamais connu, Sarah Chiche crée sa propre fiction en réponse à toutes celles forgées par sa famille autour du disparu : seul moyen pour elle, le temps de l'écriture, de remplir une béance intérieure que la vie réelle ne comblera jamais. Un texte fort, sidérant et terrible, autour d'un deuil impossible, à l'origine d'un véritable collapsus psychologique. Coup de coeur.

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Pour la narratrice, l'effondrement qui a marqué l'histoire de sa famille l'a peu atteinte sur le moment, puisqu'elle n'avait que quinze mois, lorsque la maladie a emporté son père. Elle retraçe l'histoire de ce lignage, à partir des grands-parents qui ont du fuir l'Algérie en laissant là-bas l'essentiel de la fortune qu'ils y avaient amassée. Avec l'énergie qui les caractérisaient, ils créent dans le pays qui les accueille, un nouvel empire faits de cliniques privées, avec un sens aigu des affaires. Si Armand le fils aîné semble entrer dans le moule, Harry le cadet, le père de Sarah s'écarte des chemins consacrés, et unit son destin à celui d'Eve , qui est loin de satisfaire aux exigences des parents en matière d'alliance. C'est donc avec cette mère fantasque et en l'absence de son père que Sarah devra se construire.


Ce qui frappe d'emblée à la lecture de cet écrit, c'est l'élégance et la richesse de l'écriture, profondément envoutante, au point parfois de se laisser mettre à distance du propos. C'était déjà le cas avec Les Enténébrés dont j'aurais du mal sans me pencher sur mes notes à évoquer le sujet.
Il n'empêche que l'on se laisse porter avec bonheur par cette langue où chaque mot est choisi et chaque phrase assemblée avec une grande maitrise. C'est certes sombre, mais suffisamment bien exprimé pour que l'on accepte de partager ces évocations douloureuses.


Le poids des drames familiaux sur le destin des générations suivantes, la vanité des succès qui ne survivront pas au temps qui passe, la difficulté de s'affirmer sur des fondations marquées par des malheurs ordinaires, de ceux qui existent dans toute famille, ce sont ces fondamentaux qui transparaissent dans ce récit, superbement mis en mots.

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J'ai vraiment du mal à accorder trois étoiles à ce roman, je le fais pour les réflexions sur la mort, le deuil, les regrets qui sont dans l'ensemble assez prenantes.

La première partie est soporifique au possible, confuse au point d'égarer le lecteur perdu dans les différentes époques et personnages du roman. Ce texte ne suscite pas d'empathie pour les différents personnages, même pas ce pauvre Harry à l'agonie duquel le prologue est consacré. Ensuite, on navigue tant bien que mal dans les arcanes familiales, où les coucheries du père n'ont aucun intérêt, celles du fils non plus d'ailleurs, racontées sous une forme qui se veut sans doute érotique, mais qui dérape très vite sans susciter la moindre impression de sensualité pour le lecteur.

La deuxième partie est nettement mieux réussie, la narratrice est la fille orpheline de son père, encore Harry, elle vit la disparition de sa grand-mère avec douleur et regrets, elle dépeint bien les différents sentiments qui habitent les survivants. Ensuite, c'est sa descente dans la dépression dont elle sort, m'a-t-il semblé, un peu trop rapidement, pour retrouver sa vraie personnalité, paraissant enfin libérée tant des morts que des vivants.

L'écriture n'est guère talentueuse, je lui reconnais quand même sa capacité à exprimer des ressentis variés et à emmener le lecteur jusqu'aux affres les plus tourmentés et de ce point de vue c'est réussi.

Un petit roman dans l'ensemble qui mérite malgré tout un petit détour.
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Saturne est le roman solaire de la mort.
Moi qui ne sait pas écrire ou si peu, je découvre, une fois de plus la fascination que l'écriture permet à certains, d'atteindre une rédemption qui les pousse vers une lumière enfouie dans le monde des ténèbres et de la mort.
"C'est seulement quand j'écris que rien ne fait obstacle à mes pas dans le silence de l'atone et que je peux tout à la fois perdre mon père, attendre, comme autrefois, qu'il revienne, et, enfin , le rejoindre."
Peut-on mieux définir l'écriture ?
Elle a permis à Sarah Chiche de vivre, d'accepter la mort de son père alors qu'elle avait 15 mois même si elle dit aussi" que le temps du deuil ne cesse jamais "
Saran Chiche dans ce roman commence par évoquer une famille qui a du vivre l'exil, quitter un pays: l'Algérie. En la lisant, j'ai compris ce que représente la douleur et la nostalgie de l'exil même si on ne l'a jamais connu. Mon père, pied noir, d'Alger m'a souvent parlé de cette jeunesse dans Alger la ville blanche, lumineuse.
En lisant Sarah Chiche, j'ai soudain compris ma fascination pour les exilés et les diasporas . L'exil se porte en soi, l'évocation de notre famille d'un endroit qu'on ne connaît pas mais qui nous appartient.
Sarah Chiche porte en elle aussi des deuils, le premier, c'est la mort de ce père et son agonie qu'elle décrit dans ce prologue qui nous noue les tripes.
le deuil, également, d'une famille dont on n'a pas voulu, qu'on rejette, son propre père à rejeté la sienne. Il ne pouvait adhérer à cette grande famille bourgeoise de médecins qui lui tracait et dictait sa vie.
" Je ne savais pas à quel moment mon père s'était dit que naître dans sa famille était une erreur."

Lourd héritage que sa fille devra aussi assumer. Pour échapper à sa famille, son père " était tombé fou d'amour de la plus déglinguée des enfants perdues" La mère de Sarah Chiche va laisser aussi des empreintes sévères dans la vie et le comportement de sa fille.

L'écriture de Sarah Chiche pour nous décrire et nous faire comprendre son parcours est exceptionnelle, elle nous touche au plus profond de notre coeur.

Un roman bouleversant d'humanité, d'une course effrénée vers la vie, en dépit de tout.
À lire absolument, un grand baume sur le coeur.

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Ce roman m'a bouleversée. C'est le premier livre que je lis de Sarah Chiche et je suis en totale admiration. Je m'accrochais à sa violence passionnée, à sa souffrance et son incroyable force à incarner dans ses pages à la fois douloureuses et lumineuses ce père mort si jeune, Harry. La narratrice n'a pas connu son père, n'a aucun souvenir de lui, elle n'avait que 15 mois quand il est mort.

Sarah Chiche écrit de ses veines, les morsures indélébiles de l'existence, le manque d'amour, les silences, les diktats de la cellule familiale qui écrasent l'individu, la mort, la maladie et l'incroyable capacité de résilience des abîmés de la vie.
L'expression « mettre des mots sur les maux « prend ici toute sa signification. J'ai été bousculée, émue, reconnaissante aussi d'être comprise dans le fait de ne pas devoir « faire son deuil » comme si le temps effaçait le vide.

Je l'ai lu sans interruption afin d'être totalement en accord avec la voix, le tempo et le climat du livre entre 3 époques, celle d'aujourd'hui, mai 68 et la guerre d'Algérie. Des événements et des lieux qui ont aussi leur part d'importance dans la construction de la personnalité.

J'ai aimé dans la première partie l'enchaînement dans le même paragraphe de la voix de la narratrice à la trame de la narration, elles se fondent toutes les deux, sans aucune cassure.
La deuxième partie empruntée exclusivement par la voix de la narratrice est plus fiévreuse, impérieuse. Les mots sont des flammes, des étoiles,

J'avais envie de m'y brûler, de m'y accrocher. La littérature comme guérison.

Je vais certainement lire maintenant "Les Enténébrés" pour connaître la branche maternelle d'une histoire familiale aussi sombre que passionnante.
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Harry, 34 ans, se meurt d'un cancer foudroyant, entouré de sa famille, dans une chambre d'hôpital. Ce moment de fin de vie prend toute la place dans ce roman qui n'en n'est pas un. Sa fille a quinze mois. À l'âge de six ans elle est éloignée de ses grands-parents et de son oncle et grandit dans la haine viscérale de sa mère pour eux et dans la violence de cette dernière à son égard.

Notre narratrice vivote confortablement dans sa vie d'adulte avec des manques, des souvenirs confus, certainement un sentiment angoissant de ne pas être à sa place. Elle va recevoir le premier choc lorsqu'elle rencontre une personne qui a connu son père. Elle se rend compte qu'elle ne connaît rien de ce dernier. Il est parti, elle était bébé. Personne ne lui a raconté son histoire, l'histoire de ses parents.

Le deuxième choc, le plus violent, le plus destructeur, arrive quand son oncle lui téléphone pour lui apprendre la mort de sa grand-mère et l'héritage qui en découle.

Il y a des histoires de famille qui peuvent tuer, Sarah l'apprend à ses dépens, les souvenirs confus affluent, elle remonte le cours du temps, de son histoire.

Elle n'héritera pas des cliniques privées de la famille paternelle, juste un petit pécule qui lui permet de ne pas finir à la rue. Elle loue une chambre d'hôtel, entasse les affaires récupérées de la maison familiale, s'enterre, et se laisse mourir sous un tas d'ordures.

Elle va pourtant survivre et sa mère terrifiée à l'idée qu'elle puisse hériter de la maladie mentale de sa grand-mère maternelle, va l'aider et lui raconter.

La première partie de ce livre raconte l'histoire familiale de la narratrice, l'exil de famille paternelle suite à la guerre d'Algérie, leur enrichissement, leur monde bourgeois. la rencontre de ses parents, deux êtres qui ne sont pas à leur place dans la vie, leur amour fou, passionnel, entier, la maladie mentale de la grand-mère maternelle et la prostitution de sa mère pour survivre. Beaucoup de moments lourds, remplis d'érotisme, cette ambiance glauque ressentie par une enfant sans pouvoir l'identifier.

La deuxième partie est oppressante comme l'histoire de la narratrice. Les mots d'une violence extrême vous percutent tels une succession de coups de poing. On se retrouve dans la tête de celle qui se laisse mourir et à qui on va dire : non, tu es trop jeune, il te faut vivre, tu vas surmonter tout ça. Les bouffées de terreur la nuit, la haine de soi, l'anéantissement.

L'auteure/autrice a dédié ce livre aux vulnérables, aux endeuillés.

Je conseille ce livre à tous ceux qui ont grandi dans la haine, pour avoir la force de lui tourner le dos et construire sa propre histoire, sa propre vie.

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Ce que j'ai trouvé saisissant dans ce roman, c'est cette approche d'un père que la narratrice n'a pas connu car il est mort d'une leucémie alors qu'elle n'était encore qu'un bébé. Sarah Chiche a su tisser une histoire très intime en puisant dans son vécu et dans les souvenirs.
La première partie est consacrée au père disparu qu'elle fait revivre sous sa plume en rassemblant les fragments épars. Elle remonte à la famille bourgeoise et aisée de ses grands-parents qui a dû quitter l'Algérie en laissant ses biens et tout recommencer en métropole. Cette saga familiale serait de peu d'intérêt s'il n'y avait la rivalité entre les deux frères : il y a Armand l'aîné, garçon brillant destiné à être médecin comme le père et à lui succéder à la tête de la clinique médicale. Il y a aussi Harry, l'incompris, le rebelle qui ne veut pas de cette vie de médecin qu'on envisage pour lui. Il tombe amoureux fou d'Eve, si belle et à la fois mystérieuse et sulfureuse. L'autrice naitra de cette passion folle. Elevée par cette mère fantasque et distante au passé trouble, elle sera écartelée entre Eve et la famille de ce père trop tôt disparu.
C'est à la mort de sa grand-mère qu'elle ne voyait plus que Sarah Chiche va tomber dans une dépression profonde. Et c'est la seconde partie du roman, à la fois introspection et creusement psychanalytique.
Jamais pathétique ou ennuyeuse, l'autrice se confie avec lucidité et simplicité, le tout dans une langue élégante et hardie aux accents poétiques. Elle veut juste faire le chemin à l'envers et essayer de comprendre ce qui l'a menée là, dans cette mélancolie profonde, jusqu'à frôler la mort. le lecteur entre dans la confidence avec empathie car la douleur est murmurée.
Après un retour dans le passé et le drame ordinaire d'une famille éclatée, le roman va crescendo jusqu'au visionnage de vieux films de famille où, enfin, Sarah peut voir à quel point son père l'aimait.
C'est un roman émouvant porté par une écriture superbe.
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Mon père, ce héros

En retraçant l'histoire d'un père qu'elle n'a quasiment pas connu, Sarah Chiche a réussi un bouleversant roman. Et en mettant en lumière le passé familial, c'est elle qui se met à nu. Dans un style éblouissant.

J'ai découvert Sarah Chiche l'an passé avec Les enténébrés (qui vient de paraître chez Points poche), un roman qui explorait les failles de l'intime et celles du monde et qui m'avait fasciné par son écriture. Je me suis donc précipité sur Saturne et je n'ai pas été déçu. Bien au contraire! Ici les failles de l'intime sont bien plus profondes et celles du monde plongent davantage vers le passé pour se rejoindre dans l'universalité des émotions qu'elles engendrent.
Tout commence par la mort tragique de Harry, le père de la narratrice, emporté par une leucémie. «Le coeur lâcha à midi. Il venait de fêter ses trente-quatre ans. Il mourut dans les bras de son père qui, trois ans plus tard, mourut à son tour de chagrin. Ils avaient tous en eux l'espoir que ce ne serait qu'un mauvais rêve, mais en fait, tout cela, ce n'est pas un rêve, tout cela c'est pareil pour tout le monde, tout cela, ce n'est pas grand-chose, tout cela ce n'est que la vie, et, finalement, la mort. On lui ferma la bouche après les yeux. On le déshabilla. On le lava. Puis le corps fut ramené à son domicile. On le recouvrit et on recouvrit tous les miroirs ainsi que tous les portraits d'un drap blanc. On me tint éloignée de la chambre funéraire. On déchira un pan de ma chemise de nuit à hauteur du coeur. Mais personne ne me dit que mon père était mort.»
Elle n'avait que quinze mois.
Le chapitre suivant se déroule le 4 mai 2019. Une femme s'approche de la narratrice, en déplacement à Genève – une ville où elle a vécu «l'année la plus opaque» de son enfance et qu'elle retrouve avec appréhension – et lui révèle qu'elle a bien connu ses grands-parents, son père et son oncle à Alger. C'est sans doute cette rencontre qui a déclenché son envie d'explorer son passé, de retrouver son histoire et celle de sa famille.
Retour dans les années 1950 en Algérie. C'est en effet de l'autre côté de la Méditerranée que son grand-père fait fortune et lance la dynastie des médecins qui vont développer un réseau de cliniques. Une prospérité qu'ils réussiront à maintenir après la fin de l'Algérie française et leur retour en métropole.
Une retour que Harry et Armand vont anticiper. Au vue de la sécurité qui se dégrade, les garçons sont envoyés en Normandie dès 1956. le premier est victime de moqueries, d'humiliations et d'agressions. Il se réfugie alors dans les livres, tandis que son aîné ne tarde pas à s'imposer et à devenir l'un des meilleurs élèves du pensionnat.
On l'aura compris, Sarah Chiche a pris l'habitude de construire ses romans sans considération de la chronologie, mais bien plutôt en fonction de la thématique, des émotions engendrées par les épisodes qu'elle explore, «car ainsi voguons-nous disloqués dans la tempête des années, otages de la mer sombre où l'exil des uns n'efface jamais celui des autres, coupables et victimes du passé».
On retrouve les deux frères lors de leurs études de médecine – brillantes pour l'un, médiocres pour l'autre. Harry préfère explorer le sexe féminin en multipliant les aventures plutôt que s'intéresser aux planches d'anatomie et aux cours de gynécologie. Sur un coup de tête, il décide de mettre un terme à cette mascarade et part pour Paris dépenser toute sa fortune au jeu. «On ne l'arrête pas. Il ne s'arrêtera plus. L'aube vient. Il sort du casino enfumé comme une bouche de l'enfer, les poches vides. Il a vingt-six ans.»
L'heure est venue de vivre une grande histoire d'amour, une passion brûlante, un corps à corps dans lequel, il se laisse happer. Elle s'appelle Ève et il est fou d'elle.
Le 19 juin 1975, Armand intervient à ce «serpent peinturluré en biche»: «Je suis le frère de Harry. Et au nom des miens, au nom de l'état dans lequel vous avez mis mon frère, je vous le jure: vous ne ferez jamais partie de notre famille. Nous ne vous recevrons plus: ni demain, ni les autres jours.»
On imagine la tension, on voit poindre le drame et le traumatisme pour l'enfant à naître. Si la vie est un roman, alors certains de ces romans sont plus noirs, plus forts, plus intenses que d'autres. Si Saturne brille aujourd'hui d'un éclat tout particulier, c'est qu'après un profond désespoir, une chute aux enfers, une nouvelle vie s'est construite, transcendant le malheur par la grâce de l'écriture. Une écriture à laquelle je prends le pari que les jurés des Prix littéraires ne seront pas insensibles.


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