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Critique de Presence


Le prix de la liberté est la vigilance éternelle.
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Ce tome contient une histoire complète qui ne nécessite qu'une connaissance superficielle des personnages. Il regroupe les 3 épisodes doubles de la minisérie, initialement parus en 1992, coécrits par Dan Chichester & Margaret Clark, dessinés et encrés par Klaus Janson, mis en couleurs par John Wellington (1), Sam Otis (2) et Judy Johnson & Sherilyn van Valkenburgh (3). Cette histoire a été rééditée dans Captain America Epic Collection: Blood and Glory qui contient également les épisodes 398 à 410 de la série mensuelle écrite par Mark Gruenwald.

La diplomatie est l'art de dire Gentil chien, tant qu'on n'a pas trouvé de caillou. Will Rogers (1879-1935). À Washington, dans l'ombre du Capitole, les sans domicile fixe fouillent les poubelles pour trouver de la nourriture. Dans un autre quartier, un commando d'une branche spéciale de l'armée s'apprête à intervenir dans une transaction illicite de trafic d'armes, sous les ordres du colonel Max Kalee. Mais ils sont devancés par Captain America qui fait irruption dans l'entrepôt avant qu'ils ne l'aient atteint, et qui se lance dans la bataille, essuyant une pluie de balles. L'un des trafiquants décide de piocher dans une caisse pour tirer avec un plus gros calibre. le colonel donne l'ordre à ses hommes d'intervenir malgré la présence du superhéros étoilé, car ils ont un scénario à respecter. L'un des criminels a récupéré un bazooka et tire une première fois sur Captain America, qui se protège derrière son bouclier, tout en accusant quand même le choc. Il recharge et tire une deuxième fois. La troisième fois, l'arme lui explose au visage. le commando entre en scène et s'occupe des prisonniers le colonel indiquant à Captain America, qu'il prend en charge la preuve que sont les armes pour les mettre en sécurité. Pendant tout ce temps, Steve Rogers pense à son bouclier, au besoin d'avoir des alliés, à la nécessité de la guerre, à sa forme moderne, à la trahison.

Au Medisuelan, un pays d'Aérique Centrale, le dictateur Miguel Alfredo Navatilas intervient pour un discours, devant une large foule. Sur une chaîne d'infos américaine, la présentatrice fait état des liens supposés du général avec un réseau de trafiquants de drogue, et diffuse une intervention du porte-parole du gouvernement du président des États-Unis qui condamne publiquement le dictateur. Après son intervention, les journalistes vont interviewer l'attorney général Roger Mollech, accompagnée de son assistante Angela Stone, sur le sujet. Il leur répond que sa mission est de condamner des escrocs, pas de mener une politique internationale. Dans un appartement d'un immeuble désaffecté à New York, de l'argent est en train de changer de main, contre une valise contenant des petits paquets de drogue. Les uns et les autres vérifient que le compte y est. Leur trafic est interrompu par l'irruption de Punisher qui déclenche l'explosif qu'il avait placé, puis qui entre dans la pièce pour finir le nettoyage. L'affrontement est brutal et sans pitié et il doit se lancer à la poursuite d'un fuyard avec une mallette.

Au moment de la parution de cette histoire, Mark Gruenwald écrit toujours la série mensuelle de Captain America, avec une tonalité de superhéros combattant des ennemis colorés. En fait, il se retrouve transformé en loup garou dans une petite ville du Massachussetts, pour une aventure pas très inspirée. le contraste est donc fort avec ce récit dont la narration visuelle a une apparence résolument plus adulte, et qui oppose les deux héros aux agissements occultes du gouvernement des États-Unis en Amérique Centrale, ce qui fait écho avec des affaires judiciaires retentissantes bien réelles. Les coscénaristes avaient déjà travaillé ensemble pour un titre de la branche Shadowline de Marvel Comics. Ils mettent en place un triangle de trafics : le trafic de drogue permet de mettre en place un trafic de financement qui lui vient alimenter un trafic d'armes. Ils citent avec malice le comique Will Rogers sur la diplomatie, puis le célèbre aphorisme de Jean Rostand (1894-1977) : On tue un homme, on est un assassin. On tue des milliers d'hommes, on est un conquérant. On les tue tous, on est Dieu. Et pour le troisième épisode, ils citent George Bernard Shaw (1854-1950) : Liberté implique responsabilité. C'est là pourquoi la plupart des hommes la redoutent. Enfin, ils mettent en scène les deux superhéros comme des vétérans, combattant la corruption, opposant leurs méthodes pour donner une vision différente de ce qu'ils considèrent chacun être une forme de guerre, mais avec une façon de l'appréhender différente.

La structure de l'intrigue s'avère simple et solide. Captain America se retrouve impliqué en faisant irruption dans une vente d'armes illégale, et Punisher en interrompant un trafic de drogue. Après un premier affrontement justifié entre les deux, ils font équipe et remontent la source de ces trafics, d'abord au sein du Capitol, puis directement au Medisuelan, le pays producteur de drogue. Ils n'hésitent pas à se montrer facétieux en faisant intervenir Terror, un personnage qu'ils avaient créé en 1988, déjà avec Klaus Janson, et en lui faisant dire qu'il est quasiment un deux ex machina. le lecteur remarque que les dessins ont une apparence bien différente de ceux des séries mensuelles de la même époque, avec une influence assumée de Frank Miller. Klaus Janson avait encré cet artiste sur la série Daredevil, puis sur Dark Knight returns. Il avait déjà eu l'occasion de dessiner les aventures en solo de Punisher dans les épisodes 1 à 5 de sa première série mensuelle en 1987, réédités dans Punisher Epic Collection: Circle Of Blood . Ces pages se démarquent également de la production mensuelle de ces années-là par sa mise en couleurs plus sombres, inspirée par celle de Janson sur les épisodes de la série Punisher. Certes Captain America porte son costume de superhéros avec les petites ailes sur le masque et son bouclier étoilé, et Punisher porte ses gants et ses bottes blanches, mais systématiquement colorés en grisé. Ce sont les seuls éléments superhéroïques avec l'apparition de Terror.

L'esthétique de cette histoire se distingue tout d'abord par les traits de contours : d'épaisseur irrégulière, devenant parfois cassants, sans arrondi systématique ce qui donne des formes un peu rêches, pas adoucies. Ensuite, l'artiste ne montre pas une réalité propre sur elle, ou assainie pour ne pas présenter d'éléments visuels dangereux pour des enfants. Janson ne cherche pas à faire joli ou inoffensif. Mis à part pour les deux costumes de superhéros, il représente une réalité plausible et adulte. Les différents lieux sont montrés de manière réaliste : un entrepôt gigantesque, un appartement squatté en mauvais état, un toit-terrasse fonctionnel et dénudé, un motel impersonnel avec une piscine au milieu qui ne fait pas envie, un hôpital stérile à la lumière blafarde, une jungle sauvage pas faite pour le tourisme. Ces environnements ne sont pas représentés avec force détails, mais le dessinateur sait en saisir les composantes structurantes pour leur donner assez de consistance. de temps à autre, une proportion humaine semble un peu décalée, comme pour la première apparition de Captain America dans une case de la hauteur de la page où il semble de petite taille. À part cette sensation à une reprise dans chaque épisode, les civils sont réalistes, là encore avec le niveau de détails suffisant, et des visages assez expressifs. S'il s'y arrête un peu, le lecteur se dit qu'aucun protagoniste ou antagoniste n'est rendu plus beau dans les dessins : ils sont tous imparfaits comme de vrais êtres humains, même les deux héros.

Dans la mesure où il s'agit d'un récit de superhéros, il y a plusieurs scènes d'action par épisode, et le dessinateur sait leur conférer une réelle énergie et originalité : le déplacement des trafiquants dans l'entrepôt pour s'enfuir ou tirer sur Captain America, le carnage de Punisher contre les trafiquants de drogue, les acrobaties en hélicoptère, le dessin en pleine page pour l'entrée aux urgences de Captain America sur un brancard, la course-poursuite à moto, etc. Au fur et à mesure, le lecteur se dit que Janson tient une excellente forme tout du long des 3 épisodes. Il prend plaisir à suivre l'enquête musclée des deux superhéros qui collaborent dès le deuxième épisode, ainsi que la critique des pratiques interventionnistes et des opérations clandestines et vraiment sales des États-Unis en Amérique Centrale. Il apprécie également que les coscénaristes se donnent la peine d'étoffer la personnalité de Captain America et de Punisher, chacun avec leur monologue intérieur. Dans un premier temps, il sourit un peu car ces monologues sont un peu trop écrits, pas très naturels. Mais cette sensation s'amenuise au fur et à mesure, car ils jouent sur le contraste de leur expérience de vétéran. Ils opposent l'expérience de la guerre de Steve Rogers pendant la seconde guerre mondiale, avec celle beaucoup plus critiquée de Frank Castle pendant la guerre du Vietnam, que ce soit dans la forme des batailles, ou dans l'accueil réservé aux soldats au retour aux États-Unis. Dans les deux cas, il n'y a pas de glorification de la guerre, mais des constats inconfortables, doublés d'amertume pour Castle. Ils savent également contraster la motivation de l'un et de l'autre pour mener leur guerre contre le crime, sans les opposer, mais en faisant apparaître comment deux époques différentes ont généré des motivations différentes.

A priori, le lecteur craint une production industrielle de plus, vite faite, avec la certitude qu'associer ces deux héros suffira à faire vendre n'importe quoi. Il découvre avec plaisir que Klaus Janson a dû passer du temps sur chaque planche et que sa narration visuelle est très bonne, malgré une faiblesse anatomique de temps à autre, adulte et en phase avec la tonalité du récit. Il prend progressivement conscience que, malgré une lourdeur de ci de là, l'intrigue ne se limite pas à une dénonciation facile des magouilles militaro-politiques, mais que les auteurs ont un vrai point de vue sur leurs héros et leurs motivations.
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