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Critique de Soleney


Je vous avoue qu'au début, j'ai eu du mal avec les affirmations de ce livre. La situation des femmes n'était pas si terrible, selon moi : on a le droit de vote, on peut travailler, on n'appartient à personne d'autre que nous-mêmes, et si différence de salaire il y avait, cela ne devait pas être si important puisque seule une poignée de personnes s'en plaignait.

J'ai grandi dans la campagne profonde, loin de tout magazine people ou de tout H&M tentateur et je ne remercierai jamais assez mes parents de ne jamais m'avoir particulièrement poussée à la féminité. Parce que grâce à cela, jamais je ne me suis rendue compte de la pression exercée sur les femmes. Pour moi – comme pour d'autres, certainement – cette victimisation, ce cri du « nous sommes toutes manipulées » n'était qu'une vaste mascarade. Moi qui déteste faire les boutiques, je n'achète de vêtements que quand j'en ai vraiment besoin (un chiffre : en cinq ans, j'ai dû dépenser à peu près 65 euros pour m'habiller). Moi qui n'ai pas de goût particulier pour le maquillage, je n'en mets que pour les grandes occasions. Je n'ai jamais acheté un seul magazine, un seul poster, ni même regardé une seule émission « girly » – que ce soit de la télé-réalité ou des séries.
Bref : le complexe mode-beauté est pour moi une notion aussi lointaine que la Lune. le seul moyen par lequel il a pu m'atteindre, c'était le poids (et pour le coup, on peut dire qu'il ne m'a pas ratée ! Cf. ma critique d'Anorexie 10 ans de chaos).

Mais j'avais des amies aux théories toutes plus complotistes (et donc : agaçantes) les unes que les autres. Les hommes nous oppriment, nous sommes manipulées, les femmes ont trop de pression sur elles… Cela me faisait bien rire. Je ne me sentais pas désavouée parce que je n'étais pas en talons, pas plus que je ne me sentais critiquée en étant en jupe (un coup de chance ? Un aveuglement innocent ?).
Comme je ne vivais pas tout cela, je niais cette vérité. Sans songer un seul instant que d'autres n'avaient pas ma chance (ou ma cécité), qu'il était possible que je sois tout simplement passée entre les mailles du filet. Mais si on peut échapper au complexe mode-beauté, il est impossible de ne pas être influencé par l'image des femmes dans les films, les clips, les séries, les journaux, la radio ou les affiches. Croire qu'on ne subit aucune influence est une preuve de grande stupidité.

Mona Chollet pointe du doigt chacun des messages cachés des publicités (récemment élevées au rang d'art cinématographique, on croirait rêver !), des séries télévisées (si vous avez regardé Gossip Girl ou Sex and the City, vous ne les verrez plus de la même manière), des blogs et chaînes beauté (braves petites otaries…), et le pire : la presse féminine. Conseils pour maigrir, résumé d'une journée parfaite dans la vie d'une star, témoignages élogieux de ces femmes qui ont fait de la chirurgie esthétique, surabondance de pubs aux mannequins faméliques à côté d'articles traitant de l'anorexie, acclamation des maisons de marque, incitation à l'achat compulsif… Les messages sont bien là : il faut acheter, votre bonheur en dépend, et dépêchez-vous d'opérer votre corps pour le vider de toute personnalité ! Elle est d'ailleurs un magazine de référence pour toutes ces pépites. Et dire qu'il se proclame féministe…

J'ai acheté Beauté fatale alors que son propos n'avait rien pour m'attirer. Deux raisons : une cliente de la librairie où je travaille me l'a recommandé ; et deux jours plus tard, après avoir critiqué Jamais assez maigre, j'ai reçu un commentaire de Judithbou m'encourageant à le lire. Deux sources différentes et un seul message : ce livre est une valeur sûre, assurément.
Et en effet, c'est une valeur sûre. Non seulement c'est si bien écrit que ça en devient passionnant, mais en plus, on gagne en connaissances et en centres d'intérêt (Mona Chollet cite plein de sources, et l'envie me prend de découvrir certaines d'entre elles). C'est un essai sociétal, mais doté d'un humour tellement cynique que cette lecture m'a arraché à plusieurs reprises des hoquets de rire – jaune, le rire.
Et voilà, moi qui me croyais au-dessus de tout ça, je suis forcée de reconnaître que ces produits pour la peau que des amies m'ont encouragée à acheter ne servent à presque rien. Pourtant, j'ai poussé le vice jusqu'à aller me réapprovisionner de ma propre initiative ! Et ce produit naturel pour fortifier les pointes de cheveux, en ai-je vraiment besoin ?
Le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est un livre qui pousse à l'introspection.

Mais ce qui m'a le plus choquée, c'est l'étouffement dans lequel vivent les stars. Je ne me rendais pas compte que c'était à ce point terrible. Les femmes, surtout, sont sans cesse épiées, scrutées en quête d'un faux pas – même en allant chercher les enfants à l'école ou en rentrant de la salle de gym. Ça m'a écoeurée. L'envie de m'exclamer : « Mais laissez-les respirer, bon sang ! Vous n'avez pas autre chose à faire ? La faim dans le monde, la pollution, la politique, ce n'est pas plus important que les hypothétiques poils de Madonna ? » Qu'est-ce qu'on s'en fout, qu'unetelle ait grossi ? Qu'est-ce qu'on s'en fout qu'une autre soit devenu otarie – pardon : égérie – de telle marque de parfum ? Et ce n'est pas tout ! L'auteure relève le témoignage d'une jeune actrice avouant que les questions des magazines n'étaient pas du tout ce qu'elle attendait. Elles ne tournaient pas autour de son rôle, de l'évolution de son personnage, de son avenir professionnel, ou même de sa perception du métier, mais de sa routine beauté, de son dernier coup de coeur shopping et de ses conseils minceur… Comme si c'était la seule chose qu'on attendait d'elle. le plus terrible, c'est que celles qui ne se plient pas à ces lois tyranniques sont vite évincées, et dans les règles !
Est-ce que les actrices/mannequins/chanteuses ne servent vraiment qu'à cela ? Leur jeu, leur style, leur voix ne sont donc que secondaires ? Pourquoi la presse féminine est-elle bourrée d'articles plus insipides et aveuglants les uns que les autres ? Pourquoi les blogs beauté fleurissent-ils sur Internet ? Pourquoi des femmes s'endettent-elles pour acheter le dernier sac à la mode alors qu'elles en ont cinq dans les placards ? Pourquoi multiplient-elles leurs possessions de chaussures ?

J'ai fini par croire (et maintenant j'en ai honte) que c'était naturel. Les hommes sont plus portés sur les « domaines sérieux » (la politique, la mécanique, les sciences), et les femmes sur les vêtements et le maquillage. C'est comme ça, c'est biologique.
Quelle merde, ce raisonnement… Aucun gène n'interdit aux femmes de faire de la politique ou de s'intéresser aux voitures. Aucun gène ne les pousse à être obsédées par leur poids. Certes, elles éprouvent le besoin de plaire (tout comme les hommes, par ailleurs, même si les moyens diffèrent), mais pourquoi en deviendraient-elles hystériques à l'approche des soldes ? Pourquoi s'obstineraient-elles à acheter autant de produits beauté dont l'efficacité est au mieux minime, au pire à prouver ? Pourquoi veulent-elles autant contrôler leur silhouette ?

Réponse : ce n'est pas biologique, c'est culturel. Tout simplement.
Ensuite, quel est l'intérêt de réduire l'horizon des femmes à ce simple cercle ? Pourquoi en faire des écervelées préoccupées par leur manucure et leur tour de taille ? Comme le souligne Mona Chollet, c'est le fantasme de beaucoup d'hommes que d'avoir une belle godiche décérébrée. Pas besoin de cerveau, du moment qu'elle est jolie !

Toutefois, je me permets de souligner quelque chose. Si les préjugés sont particulièrement lourds à porter pour nous les femmes, ils ne doivent pas non plus être très faciles pour tous les hommes. Je pense à l'éternel « soit-un-homme-mon-fils ». Mon père n'a jamais osé pleurer devant nous, ses enfants, et mon compagnon était tout honteux et tout penaud le jour où ça lui est arrivé après une dispute. Si les clichés nous cantonnent au rôle de poupées, eux, ils les incitent à devenir des robots.
Pour exemple personnel, un client arrivant dans l'espace jeunesse de la librairie où je travaillais m'a demandé conseil pour sa prochaine lecture. Un peu surprise (il devait frôler la trentaine), je lui proposai divers titres. Aucun ne le satisfaisait, et je me suis finalement rabattue sur un ouvrage d'un autre genre : Les Fiancés de l'hiver (si vous ne connaissez pas, je vous en prie, achetez-le, empruntez-le, mais découvrez-le ! Il est magique…). Je me suis presque excusée : « J'ai vraiment adoré ! L'univers est magnifique, les personnages sont splendides et riches, mais je ne suis pas sûre que ça vous plaise parce qu'il y a une histoire d'amour au centre de l'intrigue… Ce serait peut-être plutôt pour un public féminin. » Ce à quoi il a répondu : « Vous savez, nous les hommes on n'est pas si différents de vous. Nous aussi on aime les histoires d'amour, sauf qu'on n'assume pas. » Finalement, c'est ce livre qu'il a emporté.
Je ne saurai jamais s'il lui a plu – c'est le plus frustrant, dans ce boulot. Mais c'est celui-ci qui l'a intéressé, et mes préjugés ont failli l'empêcher de le découvrir.

Bref. Beauté fatale est un essai terriblement bien documenté avec des sources si nombreuses qu'il y en a trois par page – je n'ose penser au nombre de jours ou même de semaines que l'auteure a dû passer à les décortiquer. C'est une écriture directe et fluide où transparaît l'humour noir. C'est un sujet de société qu'il est très important de lire et qui s'adresse tant aux femmes qu'aux hommes – oui, messieurs.
À découvrir de toute urgence.
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