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Critique de Yaena


Yaena
21 décembre 2022
La sorcière est pour beaucoup d'entre nous la méchante des contes de fée, vieille et moche elle symbolise le mal face à la jeune, belle et innocente jeune fille. Pourtant depuis toute petite j'ai toujours eu un faible pour les sorcières qui souvent ont bien plus de personnalité que les héroïnes au coeur tendre qui attendent passivement le prince charmant. Et si comme à l'instar du Loup dans nos contes pour enfants la sorcière était un personnage injustement mal aimé ?

Mona CHOLET décide d'éclairer nos lanternes et de rendre aux Sorcières ce qui est aux Sorcières. Les Sorcières ce sont d'abord et avant tout des femmes qui à l'époque de la Renaissance ont été victimes d'une chasse visant à les exterminer. En d'autres mots un génocide, un pogrom, une extermination de masse. Bref dans l'histoire le fait peut paraître anecdotique mais il n'en est rien, bien au contraire. Cette extermination ne visait pas toutes les femmes ce qui évidemment aurait été suicidaire pour la race humaine. La chasse aux sorcières est beaucoup plus sordide que ce que nous pouvons imaginer. Qui est visé, qui sont les sorcières d'alors ?

Tout a commencé par le démantèlement de l'ordre des Béguines qui permettaient aux femmes seules (souvent veuves) de vivre libres, en communauté sans qu'un homme ne les dirige et sans qu'elles n'aient décidé d'être nonnes. Cette indépendance et cette absence de soumission au patriarcat, que ce soit à un mari ou à dieu, dérangeait beaucoup ces messieurs. Démanteler les Béguines fut donc les prémices de la chasse aux Sorcières. La chasse de ces femmes qui défient les conventions sociales de l'époque en étant indépendantes, célibataires, autonomes, voire tout ça à la fois. Elles exerçaient souvent la médecine, faisant office de sages-femmes mais aussi via une connaissance des plantes et des remèdes pointue et transmise de mère en fille pour soulager les maux. le pire est que beaucoup reconnaissaient leur talent et avaient recours à leur aide. Pourtant cela ne les a pas sauvées. Au contraire. Pas assez dociles, de telles femmes ne peuvent être que sous la coupe du diable (ben oui il faut bien un homme quelque part). Toute femme qui n'est pas soumise à la domination patriarcale est un danger potentiel. le premier chef d'accusation de ces femmes accusées de sorcellerie était d'ailleurs dans la majorité des cas l'arrogance.

En d'autres termes ces femmes ont été jugées et condamnées au bûcher car elles étaient indépendantes et qu'elles avaient du caractère. Indomptables malgré l'ingénuité de l'époque dont ces messieurs faisaient preuve pour les briser. Je vous suggère d'aller voir sur internet ce qu'est une bride de mégère, cela en dit long… La haine des Sorcières alla même jusqu'à condamner des générations de félins, le chat étant le plus fidèle compagnon de la sorcière dans l'imagination commune de l'époque. Quelle hérésie, en l'absence de chats les rats proliférèrent et la peste s'installa. Mais bon on avait sauvé les âmes de ces diablesses de Sorcières et de leurs chats, suppôts de Satan. Ouf on l'a échappé bel !

Une fois exterminées les sois disant Sorcières, la voie était libre pour ces messieurs qui se sont réservés l'exercice de la médecine, pillant sans vergogne les connaissances des Sorcières dont les connaissances étaient basées sur l'expérience et la pratique. Si certains remèdes ne sont pas des plus efficaces il faut quand même rappeler que la plupart des substances utilisées en obstétriques sont des dérivés des plantes utilisées par les Sorcières. Beaucoup des remèdes étaient pour l'époque pertinents et surtout accessibles aux pauvres. Les médecins qui ont alors pris la place des sages-femmes ont déclenché une épidémie de fièvre et un nombre important de femmes sont mortes en couches. Pourquoi ? Tout simplement car ces messieurs qui accusèrent les sages-femmes d'être sales, passaient de la dissection d'un corps à un accouchement sans s'être lavés les mains. Nous avons bien progressé depuis ? Certes mais encore aujourd'hui une femme qui se plaint de douleurs dans la cage thoracique est traitée à cous d'anxiolytiques alors qu'un homme est redirigé vers un cardiologue. Et puis il suffit de voir la prise en charge des femmes atteintes d'endométriose, l'utilisation de la pilule à la liste d‘effets secondaires potentiels impressionnant (personne ne voudrait tenter de la réduire… ?) sans oublier l'époque pas si lointaine des ablations d'ovaires et de clitoris censés résoudre des problèmes qui en fait n'en étaient pas (trop forte libido, tendance à la masturbation… ça c'est de la maladie super grave !).

Cette chasse aux Sorcières, aujourd'hui encore se poursuit, les femmes sont encore bien trop souvent jugées sur leur physique et subissent de plein fouet l'injonction à demeurer jeune, du moins en apparence, le plus longtemps possible.
Messieurs vos rides et vos cheveux blancs vous donnent charme et charisme mais mesdames non ! La moindre des chose serait de vous rendre présentable, allons !
Les cheveux blancs font « négligés », la ménopause est tabou son arrivée sonnant comme une date de péremption, le non désir d'enfants est plus mal perçu chez une femme que chez un homme, de même que sa volonté de faire carrière.
Bref Mona CHOLET balaie tous ces plafonds et ces injustices qui fondent les inégalités entre les 2 sexes encore aujourd'hui car nous sommes encore pétris du modèle de l'autorité patriarcale.

Mais les plus grandes victimes ce sont les femmes qui ont passé la cinquantaine. Prendre de l'âge, arborer des chevaux blancs, ne plus être féconde, ne plus pouvoir enfanter donc ne plus avoir d'utilité pour la société. Plus les femmes vieillissent, plus elles sont renvoyées au stéréotype de la Sorcière. Vous avez déjà vu un vieux monsieur être qualifié de Sorcier vous ? Non. Tandis qu'une femme surtout si elle est un peu revêche…

Un chapitre de ce livre revêt une importance particulière dans le développement de Mona CHOLLET, c'est celui qui nous parle de la pression sociale qui pèse sur les femmes en matière de maternité. Il y a une injonction sociale à être mère qui n'existe pas pour les hommes que l'on incite toujours à l'autonomie et l'indépendance. Dans l'image d'Épinal la femme veut se marier et avoir des enfants et c'est le bonheur suprême, l'homme lui se fait passer la corde au cou et assume les frais liés aux enfants. Son objectif c'est sa carrière.
Je conçois très bien les développements de l'auteur sur ces mères qui se sentent emprisonnées dans la maternité parce qu'elles ont cédé par convention sociale. Je regrette par contre qu'il ne soit pas question de femmes qui n'ont renoncé ni à avoir des enfants ni à avoir une carrière. Pourtant cela existe et toutes les femmes n'ont pas un partenaire qui s'investit moins qu'elles dans l'éducation des enfants.

Alors j'avoue, au vue de tout ce qui est décrit dans ce livre je suis sans conteste une Sorcière parce que je revendique mon indépendance, le droit à mener ma vie, mes relations, ma carrière … comme je l'entends. Et comme les chiens ne font pas des chats une belle lignée de Sorcières est prête à prendre la relève. Mais n'oublions pas qu'il existe quelques Sorciers aussi et qu'ils sont de plus en plus nombreux à se dresser aux côtés des Sorcières.
Un livre intéressant et même s'il est parfois un peu manichéen il est souvent révélateur de ces discriminations tellement ancrées qu'elles en viennent à passer inaperçues. Les relever ne peut être que bénéfique !
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