Comment un poète pourrait-il comprendre, se demande Harris, que pour survivre dans un monde aussi dur que celui-ci il faut être comme le coup de hache du bûcheron : précis, brutal, déterminé, implacable. Comme il le lui a dit quand ils se sont rencontrés, lui-même est un bûcheron de bout en bout. Et un bûcheron fait toujours ce qui doit être fait. Même si ça signifie couper une branche malade pour sauver l’arbre. Même s’il faut renoncer à un trésor pour en conserver un autre.
Si l'Histoire était un livre, l'époque présente en serait sans doute le dernier chapitre, non ? Ou est-ce-que toutes les époques ont cru ça ? Que la vie allait fatalement cesser et que c'était forcément la fin des temps ?
Pourquoi les gens sont-ils programmés pour vivre juste assez longtemps pour accumuler les erreurs, mais pas pour les réparer ? Si seulement nous étions comme les arbres. Si seulement nous avions des siècles devant nous. Peut-être alors pourrions-nous redresser tous les torts que nous avons causés.
Quand elle fut terminée, la cabane s’avéra un genre de construction primitive, aussi tordue que la comptabilité d’un politicien.
Harris recense tout ce qui a été nécessaire à la naissance d’une telle forêt : des océans de pluie, des siècles de soleil.
Il a toujours préféré les arbres aux gens. Leurs habitudes et leurs préférences sont bien plus faciles à identifier.
Et puis, même si elle avait de l’argent, comment souhaiter à un enfant de naître dans la désolation de ce monde déchu ? Les enfants ont besoin d’espoir et de prospérité comme les arbres d’eau et de lumière.
Car il n’y a rien de tel que la pauvreté pour vous faire comprendre à quel point l’intégrité est un luxe.
Ils viennent pour les arbres.
Pour respirer leurs aiguilles. Caresser leur écorce. Se régénérer à l’ombre vertigineuse de leur majesté. Se recueillir dans le sanctuaire de leur feuillage et prier leurs âmes millénaires.
Le temps, Liam le sait, n'est pas une flèche. Ce n'est pas non plus une route. le temps ne va pas dans une direction donnée. Il s'accumule, c'est tout - dans le corps, dans le monde -, comme le bois. Couche après couche. Claire puis sombre. Chacune reposant sur la précédente, impossible sans celle d'avant. Chaque triomphe, chaque désastre inscrit pour toujours dans sa structure.