Ils viennent pour les arbres.
Pour respirer leurs aiguilles. Caresser leur écorce. Se régénérer à l’ombre vertigineuse de leur majesté. Se recueillir dans le sanctuaire de leur feuillage et prier leurs âmes millénaires.
Mais pourquoi attendons-nous de nos enfants qu’ils mettent un terme à la déforestation et à l’extinction des espèces, qu’ils sauvent la planète demain, quand c’est nous qui, aujourd’hui, en orchestrons la destruction ?
Les forêts ont été les premières églises (et peut-être aussi, maintenant, les dernières).
Les arbres ont peut-être bien une âme. Ce qui fait du bois une sorte de chair. Et c’est peut-être pour ça que les sonorités des instruments fabriqués en bois plaisent tant à nos oreilles : le chatoiement choral de la guitare, les battements de cœur du tambour, les lamentations du violon - nous les aimons profondément parce qu’on dirait nous.
Le fruit ne tombe jamais loin de l'arbre, dit le proverbe. Mais Willow sait d'expérience que ce serait plutôt le contraire. Un fruit n'est jamais que le véhicule par lequel s'échappe la graine, un ingénieux moyen de transport parmi d'autres - dans le ventre des animaux, sur les ailes du vent - tout ça pour s'éloigner le plus possible des parents. Faut-il donc s'étonner que les filles de dentiste ouvrent des confiseries, que les fils de comptable deviennent accros au jeu et que les enfants de téléphage courent des marathons ?
Elle a toujours pensé que la plupart des gens vivent leur vie en réfutation de celles qui les ont précédés.
Il n'y a rien de tel que la pauvreté pour vous faire comprendre à quel point l'intégrité est un luxe.
Moi je rêve surtout d'arbres. Des arbres que j'ai connus. D'autres que je ne connais pas encore. Parfois ils me viennent en aide, parfois ils me tombent dessus. Parfois je les plante, parfois je les coupe. Mais toujours ils sont là. Je crois que si on m'ouvrait la tête, on trouverait un gros ballot de racines toutes emmêlées.
Il sait que les arbres utilisent souvent les oiseaux et les écureuils pour répandre à leurs graines, et aussi toutes sortes de choses qui volent au loin, comme les hélices et les bourres de coton. C'est ainsi que fonctionne une bonne partie de la Création : les êtres vivants envoient des versions d'eux-mêmes dans le grand mystère du futur.
Cependant Temple ne se fait guère d’illusions quant à l’impact de sa bibliothèque. Ses livres ne sortiront personne de la misère. Ils ne redresseront aucun tort, ne sauveront aucune âme égarée, ne rempliront aucun ventre creux. Mais ils éclaireront peut-être de quelques malheureux rayons des vies dures et désolées, et c’est déjà ça.
Seul ce qui est vert empêche le ciel et la terre de s'intervertir.