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Critique de gatsbi


Dernier volet qui clôt cette trilogie grandiose.

Mon ressenti va être compliqué à exprimer !
Aussi, je préfère prévenir que je risque de dévoiler des éléments de l'intrigue…

Il m'aura fallu un bon mois aller au bout de ces 820 pages. C'est peut-être trop : les idées qui se bousculent dans mon esprit ne sont plus très nettes, et j'en ai perdu la moitié en route. Je ne pourrais même pas résumer ce pavé si je le voulais ! Et je ne peux pas dire que cette lecture fut laborieuse ou ennuyeuse. C'est tout le contraire, même : l'écriture ne présente aucune difficulté, le style est à la fois simple et rigoureux, les idées renversantes foisonnent et l'action ne manque pas. Mais, peut-être parce qu'il me manquait de l'émotion ou un fil conducteur précis, j'ai n'ai pu que lire par à-coups sans jamais vraiment rentrer dedans.


Après un second tome difficile, j'ai eu l'agréable surprise de voir l'auteur renouer avec une structuration bien plus avenante : les paragraphes sont nombreux, il y a souvent une alternance entre le récit principal et une sorte de chronique davantage distanciée, ce qui donne du rythme. Enfin, la narration est essentiellement chronologique, et elle est découpée en grandes parties (les ères), ce qui n'est pas du luxe compte tenu de la longueur du roman et de l'étalement des évènements dans le temps. Cerise sur le gâteau, il y a un sommaire très utile !


Sur les personnages :

Plus que dans les deux premiers tomes, on suit ici un personnage central : la jeune chercheuse Cheng Xin. À l'instar de Wang Miao dans le premier tome, Cheng Xin est un personnage typiquement neutre. Je n'aime pas beaucoup ce type de personnages. J'ai tendance à les voir comme des pseudopersonnages : des personnages qui n'agissent pas vraiment de leur propre chef, ou si peu, c'est pourquoi ils sont nécessairement entourés de personnages secondaires (les véritables protagonistes). Un moyen pratique pour focaliser la narration et ainsi la rendre plus simple à suivre. Mais ici la proximité n'aide pas spécialement à s'attacher au personnage principal, car l'auteur maintient une distanciation constante dans la narration, et zappe occasionnellement pour les personnages secondaires qu'il traite avec la même distanciation : ni plus ni moins.
Ces personnages secondaires sont plutôt réussis du reste. Variés, crédibles, extrêmes pour certains. Mais même avec eux j'ai eu du mal à partager leurs émotions du fait de la distanciation.

Le point fort des personnages est à mon avis leur background : une des spécialités, me semble-t-il, de l'auteur. Mais comme d'autres qualités que j'évoquerai après, je trouve que l'auteur en fait trop : après un prologue très intrigant et sympathique, les cent pages suivantes sont ainsi consacrées à construire le background de Cheng Xin et de Yun Tianming… J'ai moyennement apprécié. Ce gros background autour de Yun Tianming trouve sa justification dans la formidable séquence à rebondissements du « programme Escalier » qui vient juste après. Mais son dénouement est un tel fiasco que ma première réaction a été de penser « tout ça pour ça ? ». Alors oui, Yun Tianming va refaire parler de lui par la suite, mais cela on l'ignore la première moitié du roman !

Pour en terminer avec le personnage de Yun Tianming, j'ai une autre dent contre lui (le pauvre, comme si ses malheurs ne suffisaient pas !). Pas le personnage en tant que tel, mais plutôt sa fonction dans le roman. Avec le recul, j'ai trouvé que l'auteur s'en était surtout servi pour articuler certaines trames de l'histoire. Une variable d'ajustement (un peu comme Cheng Xin, quelque part). Ce qui m'a amené à penser cela, c'est la façon peu crédible, voire artificielle, dont il refait surface dans l'histoire à chaque fois. Et lorsqu'il le fait, c'est pour faire rebondir la trame principale, mais clairement elle aurait pu rebondir pareillement sans son aide. J'ai interprété ses courtes apparitions comme autant de justifications supplémentaires de l'investissement passé dans ce personnage au début du roman. Possible aussi que la romance qui l'unit avec Cheng Xin m'ait biaisé…

L'androïde Intellectra est l'autre personnage qui m'a interrogé. Autant sa face harmonieuse (le rituel du thé) que sa face guerrière façon samouraï m'ont fait penser à Kill Bill. Un personnage archétypal très convaincant, mais j'ai trouvé qu'il détonnait un peu trop dans cet univers. Aussi, ce personnage arrive un peu de nulle part. L'IA, on sait, mais j'aurais aimé plus d'explications sur la technologie qui a rendu possible un tel degré de perfection mécanique.


Une des forces de Liu Cixin est sans conteste son aisance à vulgariser les concepts scientifiques, même les plus pointus. Une compétence qui semble aller de soi dans le monde de la hard SF, mais qui n'est peut-être pas partagée par tant d'auteurs que ça. Mais personnellement je trouve que Liu Cixin en fait un peu trop. Trop de concepts : sur l'ensemble de la trilogie, je suis sûr que je pourrais extraire cinquante passages où l'auteur vulgarise un concept scientifique ou un phénomène physique à notre intention (même si la démonstration est souvent assez bien intégrée dans le scénario). Trop de longueurs : parfois, l'auteur fait traîner ces démonstrations ou ces descriptions inutilement. Exemples : l'ordinateur trisolarien dans le tome 1 (une porte logique suffisait) ; la destruction des trois premières rangées de vaisseaux par la gouttelette dans le tome 2 (une rangée ou deux suffisait) ; la bidimentionalisation des planètes du système solaire dans le tome 3 (deux ou trois suffisaient). Certes, certains de ces passages figurent parmi les plus époustouflants, mais la redondance m'a lassé et, finalement, un peu gâché le plaisir !


Dans La forêt sombre, l'auteur m'avait bluffé avec ses moments forts et ses formidables retournements de situations savamment distillés.
Dans La mort immortelle, on peut dire que l'auteur s'est lâché ! Un festival et un régal. Seul bémol, les coups de théâtre sont tellement nombreux que j'ai fini par développer une certaine intuition qui s'est souvent avérée juste…

Dans cette veine, il y a segment du roman (de mémoire je dirais le deuxième quart) où l'auteur s'est ingénué à faire ressortir toute l'irrationalité de l'opinion collective dans nos sociétés humaines. Comment la population peut-elle, du jour au lendemain, basculer d'une opinion unanimement partagée, d'une conviction tranchée, à l'opinion opposée ? Pour basculer à nouveau le jour d'après ?
Bien sûr, chaque fois l'auteur donne une explication au changement d'opinion, mais cela n'ôte en rien le sentiment d'extraordinaire versatilité de l'opinion collective.
Une versatilité de l'opinion publique sur les choix de société et les courants de pensée, mais aussi sur les trisolariens et même sur les hommes et femmes clés :
Ainsi, dans La forêt sombre, on pouvait déjà voir Luo Ji et Wang Miao, chacun dans leur trame respective, successivement érigés en sauveurs de l'humanité, puis déchus, puis encore érigés en sauveurs, et ainsi de suite…
Dans La mort immortelle, la girouette de l'opinion collective continue de plus belle et cette fois-ci c'est Cheng Xin qui en fait principalement les frais.


À côté de la société et son irrationalité, les individus tranchent par leur constance.
À ce propos, une chose que j'ai relevée m'a beaucoup amusé. J'ignore si c'est simplement le fruit du hasard, ou bien un choix conscient ou inconscient de l'auteur, mais chaque fois que le sort de l'humanité bascule dans un sens critique, c'est le fait d'une femme, et chaque fois que l'humanité est sauvée (au moins temporairement), c'est un homme qui s'illustre !
Ainsi, dans le tome 1, c'est Ye Wenjie qui précipite l'humanité dans l'ère de la Grande Crise. Dans le tome 2, Luo Ji sauve l'humanité et la fait entrer dans l'ère de la Disuasion. Dans le tome 3, Cheng Xin succède à Luo Ji comme porteur d'épée mais échoue sitôt nommée, faisant sauter la dernière défense de l'humanité face à l'envahisseur. Ensuite, un homme à nouveau qui, à bord de l'Espace Bleu, renverse la situation et lance l'ère de la Diffusion. Deux autres hommes agissent ensuite en servant les intérêts humains, Yun Tianming et Wade. Puis Cheng Xin fait arrêter Wade, ce qui à nouveau ôtera la meilleure chance de survie à l'humanité… À noter, dans le tome 2, Zhang Beihai joue un rôle secondaire mais déterminant pour l'humanité et je crois, de mémoire, que c'est une femme (Dongfang Yanxu) qui lui met des bâtons dans les roues !
De là à penser que confier les pleins pouvoirs à une femme constitue en soi un crime contre l'humanité, il n'y a qu'un pas…
J'ai forcé le trait : en réalité, ces femmes n'ont pas de « mauvaises » intentions en soi. La vérité est bien plus subtile et l'auteur a été fort à ce jeu. Elles agissent ainsi soit parce qu'elles estiment que l'humanité est devenue un cancer (Ye Wenjie), soit parce que sauver la planète est plus important que sauver l'humanité (Cheng Xin), soit pour des questions d'éthique (Dongfang Yanxu et Cheng Xin à la fin).
Au-delà de ces raisons diverses, il y a cette idée générale qui transparait, comme quoi la nature profonde des femmes les ferait agir en premier lieu par amour pour le vivant. Une prédisposition qui, à un certain point, entrerait en conflit avec la nature profonde des hommes qui, elle, serait d'assurer la survie de l'espèce humaine. La virilité trouve ici une justification profonde. Elle valorise et légitime les hommes dans un contexte de guerre totale où la moindre faiblesse équivaut à la disparition de l'humanité. Face un tel enjeu, toute considération éthique ou morale doit s'effacer devant le seul impératif de la survie. Si vous avez lu La stratégie Ender, vous reconnaîtrez facilement ce thème...
J'ignore si l'auteur a voulu ce clash hommes/femmes, mais je suis sûr qu'il a cherché à faire ressortir l'opposition entre la stratégie guerrière « quoi qu'il en coûte » et les considérations éthiques et morales. le point culminant étant la passation de pouvoir entre les deux porte épées et ses conséquences. Je me suis vraiment régalé sur ce passage et sa chute, que l'auteur avait savamment préparée ! Mais même si, à ce moment, la gifle est cinglante, je crois que l'auteur ne tranche pas : il laisse vivre les deux visions possibles, qui sont explicitées à la fin à travers le jugement sévère de Luo Ji (son regard noir) même s'il reste courtois, et les paroles réconfortantes du dernier personnage à côtoyer Cheng Xin.


S'il fallait retenir un thème pour l'ensemble de la trilogie, je choisirais celui qui donne son nom au deuxième tome : la forêt sombre. En soi, le travail de Liu Cixin pour développer (à sa manière) une intrigue magistrale autour d'une des théories les plus mystérieuses de l'Astrobiologie est bluffant. Car ce thème est bien central tout au long de trois tomes, et pas seulement dans le deuxième.

Le sense of wonder est bien présent dans cette trilogie, et monte en puissance à chaque étape. Aux modestes mais invincibles intellectrons du tome 1 succèdent les terrifiantes gouttelettes du tome 2, puis les univers bidimensionnels et quadridimensionnels s'invitent dans la bataille dans ce dernier tome, pour un finish en apothéose.
L'auteur présente et illustre un nombre impressionnant de concepts de l'astrophysique comme les trous noirs, les ondes gravitationnelles, la théorie des cordes…
L'un des thèmes récurrents est celui des dimensions de l'univers. C'était un pari pour le moins risqué pour roman de science-fiction grand public, vu la complexité de la théorie sous-jacente. J'ai trouvé que Liu Cixin s'en était tiré plus qu'honorablement. Et le choix de se focaliser sur les dimensions 2 et 3 dans ce dernier tome était bien vu, pour ne pas perdre les lecteurs sur la fin.


Le dénouement de ce roman ne m'a pas ébloui. J'ai trouvé cela dommage : après tant de coups de théâtre, ne pas proposer de chute digne de ce nom… Certes, je vois que l'auteur a fait le choix de partir sur une extrapolation vertigineuse, exponentielle de l'avenir de l'Univers, rien que ça ! Quelque part cette fin est très logique avec la thématique des dimensions de l'Univers développée tout au long de la trilogie. Mais bon, cette fin m'a peu touché.


Par rapport au précédent, ce dernier tome m'a apporté plus de satisfaction quant aux idées développées, et sa structuration s'est nettement améliorée.
Pour autant, mon ressenti quant à la narration froide et uniforme s'est clairement confirmé. Un ton égal, parfaitement égal, neutre et distancié. Une écriture irréprochable et parfaitement maîtrisée et, paradoxalement, l'absence de projection ou d'émotion.
Il y a à mon sens trop de digressions inutiles et de redondances.
La structure n'est pas facile à appréhender : non seulement elle est hétérogène d'un tome à l'autre, mais aussi à l'intérieur de chaque tome.
Le fil conducteur n'est pas non toujours très clair.
Enfin, le choix d'étaler le récit sur une période si longue, non linéaire, est ambitieux mais ne facilite pas l'attachement aux personnages dont la trame se voit reconduite (ou non) à l'ère suivante selon les contraintes scénaristiques de l'auteur, grâce à l'hibernation (décidément une trouvaille bien pratique…).


Néanmoins, je salue la performance !
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