Arrivée près de la Bordebrume, la jeune fille s'arrêta pour passer une dernière dois en revue son matériel : livre-de-travers, laboratoire portatif, révolver bien en place dans son holster, gant de stabilité, activateur de portail... Tels étaient les instruments nécessaires à son art. Son instinct lui soufflait qu'aucun ne serait de trop.
Sitôt les coordonnés renseignées, elle poussa l'interrupteur. Le portail iridescent s'ouvrit alors devant elle, aussi froid que la trahison, aussi noir que l'incertitude et cerné d'un chaos tourbillonnant : à l'image du futur qui l'attendait, en bref.
Elsa s'y engagea sans hésiter.
C’est une longue histoire. Je veux bien entrer si ça ne vous dérange pas, ça risque de prendre un peu de temps, répondit la jeune fille, qui avait adopté la même langue que son interlocuteur sans l’ombre d’une hésitation.
L’une des caractéristiques spécifiées dans le livre-monde de Veldana conférait à son peuple la capacité d’apprendre un nouveau dialecte en un temps record : il suffisait de l’écouter quelques minutes pour l’intégrer parfaitement. Adieu, problèmes de grammaire et laborieuse mémorisation du vocabulaire !
La femme sera toujours en tort, lui rappela la voix de Jumi dans son esprit. Voilà comment fonctionnent les hommes : si le désir était mutuel, c'est toi qui les as séduits, mais si par malheur, tu as refusé leurs avances, alors tu les as privés de leur dû.
-Tu ne vas pas disparaître, dis ? Oh Elsa, je ne supporterais pas de te perdre, toi aussi ...
[...]
-Je ne compte aller nulle part.
-Ah bon ? Je croyais que ton désir le plus cher était de retrouver ta mère et de rentrer chez toi, à Veldana, rétorqua-t-il d'une voix où perçait une douleur sourde.
L'obscurité n'empêchait pas Elsa de remarquer les rides d'inquiétude qui cernaient les yeux du mécanicien, reflet de la peur de l'abandon si profondément enracinée en lui.
-Là n'est pas mon seul désir, murmura-t-elle. Plus maintenant.
Le regard trouble, Leo paraissait lutter pour saisir le sens des paroles de son amie. Tout sous-entendu un peu subtil était peine perdue dans son état.
-Allez, tu as assez bu comme ça, tu ne crois pas ? Il est temps de redonner une chance à ton lit.
-Espèce de sale monstre ! cracha la Veldanienne en se dégageant de la poigne de Garibaldi.
Un monstre brillant, certes, même si jamais elle ne l'aurais admis à voix haute.
Quoi qu'il en soit, Elsa ne comptait pas rester. Aussi Leo avait-il bien conscience qu'il ne devait en aucun cas s'attacher à elle.
Elsa ne pouvait s’empêcher de s’interroger : la douleur naissait-elle vraiment de la perte ? N’était-ce pas tout aussi pénible de n’avoir plus rien à aimer ?
« Sa mère avait raison : aux êtres aimés revenait le pouvoir d’infliger les blessures les plus terribles. »
Ne t'inquiètes pas, la prochaine fois, je veillerai à flatter ton égo pendant que je te sauve la mise en moins de deux minutes avec mes inventions créatives. Je ne voudrais pas que tu te sentes menacé par la femme qui se charge de ton travail à ta place.
Et si on pouvait vraiment créer un monde avec de l'encre et du papier ?