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Critique de DavidG75




Ce jour-là, je me levai de bon matin. L'aube naissante se déclinait encore dans toutes ses nuances de gris. L'air était froid, le vent humide et salé et les nuages bas et menaçants sur l'horizon... En ce mois de septembre, tout me criait combien la mer pouvait être houleuse et sévère avec ceux qui l'affrontent.

Le ferry qui m'attendait sur le quai me toisait, impassible, du haut de sa froide carcasse métallique.

J'étais son seul passager ce matin-là. Il devait m'embarquer vers l'île. L'île sans nom, une île comme il en existe des dizaines dans l'Archipel du Chien... Mais la seule qui en fut habitée.

Une île oubliée, ignorée, laissée pour compte, « martelée du battement du sang des hommes, comme un bout de monde tombé dans l'azur ».
Une île de pêcheurs et de paysans, une île où la terre et la vigne en sont la vie et où les plus vieux qui restent en gravent l'histoire dans les sillons de leurs mémoires.

Une île où le vieux volcan, pourtant endormi en des temps oubliés de tous, se rappelle à ses pécheurs comme une idole de granit en manque d'offrande, crachant ses fumerolles et ses cendres grises, vomissant sa colère comme la mer déverse sur la plage ses flots de larmes et ces corps inertes gonflés par le sel.

Je les ai entendu, ce matin-là... J'étais assis sur un banc non loin d'eux. Ils ne pouvaient me voir. J'étais spectateur de leur île, de leurs peurs et de leurs qu'en-dira-t-on.

Il y avait là le Maire, le Curé, le Docteur, l'Instituteur... La Vieille aussi. Et puis le Spadon. Ils avaient tout vu. Ils avaient tous vu. Ils savaient. Et désormais il leur fallait vivre avec ce secret... Mais le pourraient-ils ?

Moi aussi j'avais tout vu. Moi l'Etranger, je m'étais invité sur leur île, dans leurs chaumières, à leurs tables et dans leurs lits. Je savais. Je les voyais chercher à enfouir ces corps dans le cimetière de leurs mémoire.

Mais le volcan et ses entrailles étaient là pour leur rappeler que l'enfer n'est jamais loin et que le Diable ne dort jamais.


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Avec L'Archipel du Chien, Philippe Claudel nous délivre un huis clos insulaire magistral, une mise à nu des sentiments humains et des esprits torturés par un secret que la marée basse ne peut emporter avec elle. Une écriture claire, fluide, élégante, précise, immersive. du grand Claudel !
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