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Citations sur Laissez-nous la nuit (30)

Suivez-nous! On va se mettre là-bas.
On traverse un couloir aux murs défraîchis.
Des affiches illisibles sur des porte-affiches en liège.
Vu la laideur, ce n’était pas la peine de s’embarrasser de ce genre de coquetterie.
Encore des chaises, en plastique, fixées au sol, de chaque côté du couloir et des portes, banales, moches, tout comme ça, glacial, sale et puant : misérable.
Asseyez-vous là.
Le jeune me fixe, plutôt tente de me fixer, puis, gêné, jette ses yeux sur le carrelage beige.
C’est bon, venez !
Nous entrons dans une salle, trop grande, vide et beige aussi. Il y fait très froid.
Donnez-nous vos affaires, on va les mettre dans ce sac.
Il tend un sac-poubelle au jeune qui le réceptionne d’une main molle, l’air interrogatif.
Vous êtes sûr que c’est la peine ? Je peux attendre là, dans le couloir. Ma fille ne va pas tarder, avec l’avocat. Je ne vais pas utiliser une cellule pour rien.
Ce n’est pas pour rien, monsieur. C’est la procédure. Ce n’est pas pour rien.
Il a répété ça en plantant ses petits yeux bouffis dans les miens.
D’accord.
De toute façon ça ne peut pas durer longtemps, j’ai tué personne, on ne va pas me mettre en cage pour ça.
J’enlève mon cuir, le tends au gamin qui vient juste de trouver quoi faire du sac plastique en l’enfilant sur un panier à linge.
Face au défi que représente la gestion de mon blouson, il semble de nouveau embarrassé. Finalement il fait une grosse boule. Je ne dis rien. Mes pompes, le pantalon, le sweat… ainsi de suite. Être à poil, au milieu de cette grande pièce avec Laurel et Hardy, me noue le ventre, je ne suis plus tellement sûr tout de suite. Puis ça passe, bien sûr que si. Mélo va arriver et je serai sorti avant ce soir.
Panique pas Max. Ils font ça pour te faire peur.
Ok, allez là-bas.
Le gros a tendu son bras flasque.
Étonnamment ses mains sont minuscules, le petit doigt ramassé et l’index tendu, il me montre un sanitaire, comme une chambre froide. Un mec chauve et ganté m’attend.
Je passe en mode pilote automatique.
J’oublierai. Formalité.
Je remets mes vêtements, la ceinture, le manteau et les lacets en moins. Pas évident de marcher avec des chaussures sans lacets. La nervosité me fait pouffer comme un môme. Je me trouve bizarre.
Ça va. C’est rien. Tu te détends. Tu raconteras ça à Mélo dimanche.
Par ici maintenant, on va faire la photo, a ordonné le gros.
Je l’ai suivi dans une pièce en tout point semblable à la précédente, je me suis assis, j’ai levé la tête, un profil, l’autre, j’ai regardé droit devant, sans sourire, comme sur les photos de passeport. Ça a duré deux minutes. Pas plus. On m’a orienté vers un bureau d’écolier, devant de petites boîtes, imbibées d’encre, pour les empreintes. Le jeune en charge de l’opération a fait tourner mes doigts sur eux-mêmes pour bien les imprégner. Il ne m’a pas regardé, il est resté très concentré sur sa tâche. Moi non plus je ne l’ai pas regardé.
Je l’ai laissé faire, mimant la distance. L’opération est renouvelée dix fois.
Dix fois, j’ai fait comme si ces extrémités n’étaient pas les miennes, qu’elles gravitaient là, s’imprimaient sur le papier, sans plus. Comme si tout était normal.
Par ici!
Le gros devant, le jeune derrière, je descends des escaliers sans fin. On s’enfonce dans ces couloirs de plus en plus gris, sur ces carrelages de plus en plus beiges, plus de fenêtres, plus de soleil, juste une lumière blafarde.
Ce que c’est glauque!
Le gros sort un trousseau surchargé de sa poche XXL, farfouille et isole une grande clef rouge. Il se poste devant une porte blindée avec un hublot.

« Entrez, vous attendrez là qu’on vienne vous chercher pour aller au tribunal.
Je m’avance. Le temps de faire un tour d’horizon, la porte claque.
Un cachot.
Je ne pense pas que ça ait beaucoup changé en cinq mille ans, cette cellule est plus humide qu’une grotte. Pas d’air, pas de lumière. Un trou. Une décharge électrique vient secouer mon crâne et me flanque un vertige. 56 ans, je n’ai rien à faire là.
J’ai faim.
Je m’assieds sur le banc en ciment, vue sur les chiottes, la porte et quatre murs, parfaitement opaques. Va pas falloir que ça dure de trop. Mais ça peut pas durer, je n’ai rien fait de grave. Une boîte, faut que ça tourne quoi ! C’est normal. J’espère que Mélo va penser à appeler un avocat. Puis, elle ne peut pas garder Beckett demain, elle a le mariage de sa copine. Elle y va avec ce Loïc. Je me demande quelle tête il a son Loïc, quatre mois et je n’ai toujours pas vu le bout de son nez. Quand je pense au temps qu’il fait dehors. Une belle journée de printemps, passée là, enfermé…
Il est mort, il est mort le soleil…
Faut qu’on me sorte de là. Je vais lui dire au procureur. Ça n’a aucun sens.
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La porte se referme discrètement cette fois. Jamais encore aucune porte ici ne s'est faite aussi silencieuse. J'aurai la confirmation, plus tard, de cette première intuition : ici, les portes aussi, tour à tour, parlent et se taisent.
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La parano, c'est la chose la mieux partagée ici avec la came.
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Les gardiens ne bougeront pas. Dans ces cas-là, ils laissent faire. Pas envie de se faire amocher. Ils restent perchés, spectateurs attentifs, comme au temps des jeux romains, à nous regarder survivre ou mourir.
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La prison est un laboratoire où l'ont pratique une science occulte, sans anesthésie ni bloc opératoire, sur des cobayes régulièrement mis à disposition.
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Celui qui souffre est toujours seul. Même ceux qui, au fond, s'opposent à son martyre, ne bougeront pas. Ils paniquent à l'idée de s'approcher de trop près de la bête qui agonise.
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Ces attentes-là, c’est le pire. Quand le doute creuse sa place, commence à puiser dans l’imagination, dans les souvenirs, dans les films, les faits divers, les histoires glauques qui arrivent aux joggeuses, aux enfants, le pire en somme. Quand il fait son miel de ce qui nous échappe, se nourrit tranquillement mais méthodiquement, de nos peurs.
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«Ces enculés, ils vont moins se marrer quand il aura violé leur mère et coupé la bite de leurs fils pour leur faire bouffer.» Voilà ce qui se chante dans la cellule B312 quand le Portis craque. Ce n’est pas pour les oreilles chastes, croyez-moi. À peine pour les miennes.
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La prison a pénétré la moindre parcelle de mes cellules jusqu à modifier mon patrimoine génétique, pour s'assurer d'avoir toujours sa place dans mon identité, de ne jamais me quitter.
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J'ai compris que la prison, ce n est pas que nous, pas que ça, pas que les murs . Elle est vivante. Elle se déplace . Elle est comme un monstre qui rampe. Dans les rues, les quartiers, dans les maisons des gens qui y travaillent aussi, dans les écoles de leurs enfants, près du manège où ils jouent. Elle les regarde, elle est là, tapie quelque part, prête à rappeler qu'elle est chez elle. Qu'à tout moment elle vous ramène à elle. Qu'elle peut vous manger vous aussi, qui vous croyez libre.
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