S’il est une loi que l’on peut tirer de l’histoire du siècle, c’est que, de Phnom-Penh à Maputo en passant par Saigon, les capitales de la prostitution dans le tiers-monde tombent aux mains de révolutionnaires « purs et durs »…
Les révolutionnaires, les vrais, ceux à la mitraillette…
Toute l’expérience historique démontre qu’une force qui s’enferme sur la défensive est perdue.
L’université étant une école de chefs, c’est là, très normalement, que Fidel a rencontré les obstacles les plus rudes.
Sur le campus, la bravoure n’est certes pas un trait négligeable, mais elle doit s’insérer dans un jeu complexe de relations qui est tout simplement ce que l’on nomme « la politique ». Et cela, Fidel ne le sait pas encore. Il est donc explicable qu’il défie Manolo Castro, ce personnage considérable, en une sorte de joute médiévale. Mais c’est le propre des êtres intelligents d’apprendre vite, et Castro est intelligent.
« Dans la révolution tout, contre la révolution rien. » Parce que « la Révolution a aussi ses droits, et le premier de ces droits est celui d’exister. Et c’est parce que la Révolution représente les intérêts du peuple… que nul ne peut alléguer de droits contre elle ».
Ses derniers mots, « L’histoire m’absoudra », deviendront le titre du « Petit livre rouge » de la Révolution.
Fin 1962, la popularité de Castro est grande à Cuba. Elle dépasse le cercle limité de ceux qui peuvent affirmer vivre mieux désormais qu’il y a un lustre. Retenons le témoignage de l’écrivain Anne Philipe, veuve du grand Gérard (et, comme lui, très à gauche), avec qui elle avait fait un pèlerinage à Cuba dès le début de la Révolution. Elle y retourne en 1962. « Dans aucun pays, je n’ai vu une pareille intimité entre un leader et son peuple, rapporte-t-elle dans Le Monde. Chacun sait que Fidel peut surgir partout et à tout moment, aussi bien dans un restaurant que dans un village perdu où son hélicoptère se posera. Il n’est pas adoré comme un chef inaccessible, mais aimé avec une affection bouleversante. Qu’il apparaisse, et on scrute sa mine, on écoute sa voix. On lui prodigue des conseils : “Il faut te reposer”, “Soigne-toi”. Chacun lui parle de son cas, lui dit ses ennuis, se plaint d’une injustice… Et chaque fois… Fidel répond comme s’il connaissait personnellement celui qui s’adresse à lui. » Outre cette familiarité – un trait aussi présent, après tout, chez le Batista de la première décennie –, c’est le sentiment donné à tous d’une certaine dignité, celle de former un seul peuple (la « fierté d’être cubain ») qui est porté au crédit du Lider.
Mais la popularité de Castro dépasse largement l’île. Il est, d’abord, un héros dans le bloc socialiste. En visite à La Havane, fin 1962, le poète Evtouchenko, alors chantre de la « déstalinisation », s’écrie : « La Révolution cubaine peut rendre à l’URSS son romantisme héroïque et combatif. » (chapitre 7)
Et, par ailleurs, ne jamais négliger l’onomastique, la science des noms propres : castro, « citadelle sur une éminence ; roc qui s’avance dans la mer », dit le dictionnaire espagnol. Et aussi : « ruines de vieilles fortifications.»
Vive la honte si nous savons en tirer la force morale, la dignité.