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Critique de tilly


29 septembre 2013, à Manosque (Correspondances de) : place Marcel-Pagnol, un podium sous les platanes pour la rencontre, animée par le journaliste Yann Nicol, du public avec l'écrivain moustachu. 18 heures : le journaliste, puis l'écrivain, s'installent sur fond de fausse tapisserie de salon où l'on cause, à très grandes fleurs rose loukoum sur fond magenta.

Comme on pouvait s'y attendre, le journaliste commence par interroger TC sur sa motivation, sur ce qui l'a poussé à passer près de trois ans à décrire cm2 par cm2 son appartement de 50 m2, depuis le paillasson de l'entrée et retour, en passant par toutes les pièces, du sol au plafond, sans omettre un seul recoin, tiroir, ou placard.
— TC parle de son obsession pour les espaces restreints — ce qui l'oppose franchement aux écrivains-voyageurs ! —, et de son désir de faire surgir, par le regard et l'écriture, une nouvelle réalité de lieux et d'objets familiers dont on perçoit de moins en moins la présence, au fil des jours. Il insiste sur l'équivalence des pièces : le bureau ou les toilettes sont traités sur le même plan, méritent la même précision descriptive.

Puis très vite l'interviewer passe aux étrangetés dans l'écriture d'Intérieur. Celle qui saute aux yeux du lecteur dès la première page : dans tout le texte, l'article indéfini est en chiffre arabe (1) et non en lettres (un, une) ; pourquoi ?
— TC dit vouloir mettre le chiffre au coeur de mots, et intensifier la neutralité (un = une = 1)
[là-dessus, moi je le trouve peu... clair]

Tout n'est pas à la première personne (je), il y a quelques rares fragments à la troisième (il) ; pourquoi ?
— C'est pour créer un effet caméra de surveillance ! Il y a aussi les scènes dans lesquelles le narrateur décrit le comportement de son reflet dans un miroir !

Le journaliste note qu'il a ressenti, comme en surimpression, une menace mystérieuse qui plane, avec des objets qui dysfonctionnent, la tentation du désordre qui pointe sournoisement. Un côté Edgar Poe...

Malicieux, TC laisse entendre qu'il y a d'autres trucs ou tics d'écriture dans son texte. Il explique vouloir rendre un hommage à la littérature en écrivant de tout, en alternant les registres, comme on fait des gammes. Profiter de la variété et de la diversité des formes.
Il y a aussi, dit-il, des emprunts, voire même des pillages, car “ on n'est jamais le premier à écrire sur quoi que ce soit “ (avis aux lecteurs amateurs de défis : une phrase entière de Marguerite Duras à dénicher !).

TC parle de son goût très personnel pour l'ornementation, modéré par son attirance pour le minimalisme, et son refus de l'aliénation aux objets. Positions parfaitement illustrées par la magnifique photo d'art de Thomas Demand (Badezimmer) en couverture d'Intérieur. L'appartement de TC est sobrement équipé, mais il est loin d'être vide. TC dit qu'il est même très peuplé par des fantômes, ceux de gens aimés/admirés ; le premier par ordre d'apparition est Guillaume Dustan. TC lit un extrait qui concerne un espace-clé chez un écrivain : la bibliothèque, et le système (alphabétique par nom d'auteur) adopté pour le rangement d'icelle.

Dans le public, quelques questions sont posées. Non, TC n'aurait pas pu décrire un autre appartement que le sien : “ impossible, je ne suis pas un écrivain d'imagination “. Oui, certaines pièces ou meubles ou contenus, ont été plus difficiles que d'autres , voire impossibles, à décrire. TC ne veut pas dire lesquels, mais reconnaît que la penderie de sa chambre, à la fin, lui a donné du mal.

C'était une excellente présentation publique.

Quelques jours plus tard, de retour à Paris. Maintenant, j'ai lu Intérieur. Je plussoie ce que disait le journaliste Yann Nicol au début de l'entretien de Manosque : c'est un livre formidable, très-souvent très-drôle, parfois intriguant, mystérieux, instructif, étonnamment addictif malgré la progression contrainte et prévisible de pièce en pièce.

J'ai juste quelques petites choses à rajouter (en vrac) à ce que j'avais retenu de la présentation de l'auteur à Manosque.

Chaque fragment descriptif d'un élément de l'appartement (contenant ou contenu) est individualisé sous forme d'un paragraphe, et titré. Cela donne un plaisir de lecture supplémentaire. Les titres très courts sont faits de jeux de mots, mots-valises, à peu-près, contrepèteries, mini-énigmes ou devinettes.

Mais Intérieur n'est pas un recueil de textes, un texte de textes. Est-ce un roman ? Pas vraiment. La biographie d'un lieu ? Non plus. Une auto fiction par appartement interposé. Un peu, mais pas que.

Le langage est éblouissant, à la fois savant, précis, poétique, et ludique, avec quelques (rares) coquetteries.

Le récréatif et le sérieux (voire, le presque désespéré) sont savamment dosés et mêlés. le plus sombre est à la fin : TC nous fait ressentir progressivement le désarroi du narrateur voyant venir la phase de désamour pour son domicile adoré. Et cruellement, dans le même temps, le lecteur ne voulant pas que son plaisir s'arrête, en demanderait encore plus. Un peu comme à la fin d'un spectacle, lorsque les spectateurs harcèlent de leurs rappels un performeur épuisé qui ne rêve que de quitter la scène (sur laquelle il remontera néanmoins le lendemain avec toute son énergie retrouvée).


Lien : http://tillybayardrichard.ty..
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