Je porte ma main à ma bouche, et j'ai vaguement conscience qu'elle tremble. Les Russes n'ont pas été chanceux. Ils ont été minutieux. Tout était intentionnel, planifié. Cela n'avait rien d'un heureux hasard.
J'étais sa cible depuis le début.
Je me racle la gorge.C'est un risque.Je ne sais si j'ai pris la bonne décision de lui en parler.En revanche , je sais que c'est ma seule idée, le seul moyen qui me permettrait de remonter la piste de Youri. Et il n'y a qu'Omar qui puisse m'aider.
Je ne serai donc plus jamais totalement à l'aise, totalement heureuse.Mais mes enfants, si.Et n'est-ce pas la seul chose qui compte, lorsqu'on est parent?
_Il n'y a qu'une chose que tu puisses faire. (Il enfouit la tête dans le creux de mon cou, et je sens le râpeux de sa barbe naissante.Je ne peux réprimer un frisson). Me dénoncer.
J'entends Matt monter l'escalier et ma main se referme sur la clé USB. Comme si, en serrant assez fort, j'allais la faire disparaître. Et alors tout redeviendrait comme avant. Effacées, les deux dernières journées ne seraient plus qu'un mauvais rêve. Mais non, la clé existe bien: dure, solide, réelle.
Les voeux que j'ai prononcés devant toi, j'en pensais chaque mot, avait-il poursuivi. Peu importe ce que nous réserve l'avenir, n'oublie jamais ça. Si les choses deviennent... dures... souviens-toi juste de ça. Tout ça, c'est pour nous. Tout ce que je ferai, pour le restant de ma vie, ce sera pour nous.
Parfois, commence-t-elle, hésitante, nous croyons que masquer la vérité protégera ceux que nous aimons le plus.
- Parfois, nous croyons que masquer la vérité protégera ceux que nous aimons le plus.
Je suis retombée enceinte quand Luke avait deux ans. Je ne l'avais pas tout de suite annoncé à Matt cette fois. J'avais gardé la nouvelle pour moi toute la journée, mon petit secret. En rentrant du travail, je m'étais arrêtée sur le trajet et j'avais trouvé un T-shirt pour Luke : "GRAND FRÈRE" était-il imprimé dessus. Ce soir-là, je l'avais baigné, je lui avais enfilé son pyjama. Le bas en polaire, avec des dinosaures, mais à la place de son haut, je lui avais mis le T-shirt.
- Va montrer ton nouveau T-shirt à papa, lui avais-je chuchoté.
Et je l'avais regardé se précipiter dans le séjour, en bombant le torse.
Matt y avait jeté un œil. Et puis son visage s'était transformé. Javais vu ses yeux se planter sur moi, lu en eux cette même joie pure que j'y avais découverte lorsque je lui avais montré mon premier test de grossesse, trois ans auparavant.
- Nous sommes enceintes ? m'avait-il demandé, l'air d'un enfant le matin de Noël.
- Nous sommes enceintes, avais-je confirmé, avec un grand sourire à mon tour.
J'ai l'impression que le sol se dérobe sous moi. Comme si je tombais, ou que je flottais, en suspension dans un espace où je m'observe moi-même, regardant cette scène se dérouler, mais sans y prendre part, car elle ne peut pas être réelle.