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Critique de Presence


Ce tome comprend une histoire complète et indépendante de toute autre. Elle a fait l'objet d'une prépublication dans les épisodes 19 (acte I paru en 1998), 20 (acte II, en 1999) et 21 (acte III, en 2000) du comics "Eightball".

David Boring (20 ans) est en train de s'envoyer en l'air avec une superbe jeune femme à l'aube d'une carrière de modèle. Il rentre chez lui et rend compte à Dot Paar, sa meilleure amie qui est également sa colocataire et une lesbienne. Bien qu'étant non violent, il exerce le métier d'agent de sécurité. Il reçoit un coup de téléphone de Whitey Whitman, un ancien copain d'enfance, qui annonce qu'il vient s'inviter chez lui dès le lendemain. Après l'avoir récupéré à l'aéroport, David et Dot l'emmène prendre un verre dans un bar. Là Whitey drague une jeune femme avec qui il part. le lendemain il est mort. Alors que David se rend à son enterrement, il croise Wanda Kraml, l'incarnation de son idéal de la perfection féminine. Il en tombe amoureux.

Pour cette histoire, Daniel Clowes (scénariste et dessinateur, cette BD est en noir & blanc, avec des niveaux de gris) a choisi une narration centrée sur le personnage de David Boring qui apparaît dans 95% des scènes. Il y a en plus des petites cellules de texte dans lesquelles le lecteur découvre la voix intérieure de David Boring. Ce personnage ne semble pas avoir d'ambition dans la vie. Il a une apparence très ordinaire, avec une belle raie sur le coté, et une musculature peu développée. Il fait preuve d'un talent certain pour emballer les poulettes. Ses 2 principaux objectifs sont de se tenir à l'écart de sa mère qui habite dans une petite ville de campagne éloignée, et de coucher avec des femmes dont l'apparence correspond à ses critères très arrêtés sur les canons de la beauté féminine. Pour le reste, Boring a un caractère plutôt passif, acceptant les événements comme ils viennent. Dot, sa colocataire, semble avoir pour seul objectif de trouver l'amour auprès d'une jolie femme, mais ses conquêtes ont toutes déjà un petit ami.

L'histoire de David Boring se déroule dans une réalité proche de la notre, où le surnaturel n'existe pas. C'est tout juste si Clowes joue le temps de quelques cases avec l'idée d'une médaille porte-bonheur. Mais au final cet élément sert plutôt de leitmotiv que de ressort dramatique. C'est d'ailleurs l'une des composantes de l'histoire que de mettre en avant des leitmotivs dans la vie du personnage. Il y a en particulier son attirance pour une forme particulière de postérieur chez les femmes. Après que Dot en ait fait le constat au cours de la conversation, chaque fois que Clowes choisit un cadrage qui met au premier plan le derrière d'une femme, le lecteur fait immédiatement le lien avec cette attirance qui flirte avec une forme douce de fétichisme pour Boring. Il y a d'autres motifs visuels qui ne sont répétés que 2 fois, telle la femme se baignant dans la mer (page 33 et page 116). le lecteur en retire l'impression que la vie de David Boring s'inscrit dans une forme de prédestination, renforcée par l'apparition le temps d'une case de l'oeil de Dieu (imaginé par Boring). Clowes indique par là que Boring est entièrement à la merci de son imagination d'auteur.

La présence de l'auteur derrière les cases et les agissements des personnages se fait également ressentir dans les quelques événements arbitraires qui insufflent une tension dramatique similaire à celle d'un récit d'action tels qu'un coup de feu ou une mystérieuse épidémie. D'un coté il est possible d'y voir un artifice de l'auteur souhaitant insérer une forme d'énergie liée à l'action ; de l'autre il est possible d'y voir une volonté délibérée de la part de Clowes de faire ressortir la théâtralité de son récit pour que le lecteur ne se concentre plus que sur les états d'esprit du personnage principal.

Quoi qu'il en soit, Daniel Clowes adopte un ton narratif le plus prosaïque possible, le plus terre à terre possible, en évitant tout sensationnalisme. Cette volonté est apparente dans les illustrations. Clowes utilise un style à la fois réaliste et simplifié pour que chaque image puisse être assimilée immédiatement à la lecture. Pour autant, chaque case contient des informations visuelles qui rendent chaque personnage unique, chaque lieu spécifique. Dès la deuxième case, alors que Boring est en train d'avoir un rapport sexuel avec cette jeune femme, le lecteur peut se promener avec les yeux dans cette chambre : une lampe de chevet au style vieillot, quelques vêtements par terre, une commode sur laquelle est posé un vase, les rideaux, la silhouette de quelques immeubles. En une seule image, Clowes sait décrire tout un lieu qui donne des informations sur la personnalité de son propriétaire. Son travail sur le langage corporel et sur les expressions proscrit toute exagération ou comportement outré. La finesse de ses traits lui permet de faire passer toute sorte de sentiments et de sensations par le jeu des acteurs. Il y a également de savants découpages de séquences (certaines muettes) qui décrivent une action, tout en transcrivant avec aisance la tension entre les personnages ou leur état d'esprit. Par exemple, Boring se lance à peloter les fesses de sa conquête du moment, tous les 2 allongés sur un lit. le lecteur perçoit toute son hésitation, sa tension intérieure, l'intensité dans la retenue de ses mouvements.

Par le biais de la vie étrange de David Boring (à la fois active et passive), Daniel Clowes s'amuse à mettre en scène la vie intérieure de son personnage, et à dresser un portrait psychologique sophistiqué et nuancé. Il joue avec le thème du complexe d'oedipe, sans en dire le nom, Boring cherchant un sens dans le dernier objet laissé par son père (un comics de superhéros). Il s'amuse à tester les limites des dispositifs narratifs en attirant l'attention du lecteur sur le caractère arbitraire des événements exceptionnels. Il décortique une forme douce de narcissisme, avec une expression de la force vitale sous la forme d'une sexualité peu sublimée. Sous des dehors de chronique de la vie d'un personnage falot et égocentrique, Daniel Clowes met en scène des principes psychologiques, sans jamais recourir au vocabulaire propre à la psychanalyse. Il préfère montrer plutôt que d'expliquer. Il aboutit à un récit hypnotique peuplé de personnages à fortes personnalités, attachants malgré leur caractère bizarre.
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